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17 août 2021

6 - Jaipur

Le bonheur terrestre a sa contrepartie,
le chagrin.
Appuyée sur la balustrade de la loggia, la mahārājñī Dalaja admirait les jardins du palais, son regard errait des Orchidées angéliques aux Lis rayés, des splendides Fritillaires impériales aux magnifiques Toads Lily, des cloches des Sirois Lily aux Dzokous Lily, des Jasmins aux Narcisses sis au bord du plan d’eau où trônaient les Lotus. La seconde fille du rājā de Dungarpur, Bhadra, qui n’était auprès de la mahārājñī que depuis deux ans, lui récitait des ślokoṃ :
« Vaishampāyana poursuivit :
‹ En apprenant que les fils héroïques de Pāndu dotés d’un excès d’énergie étaient devenus si puissants, le rājā Dhṛtarāṣṭra, malade d’inquiétudes, s’abîma dans les soucis. Alors, il convoqua auprès de lui Kanika, ce ministre supérieur, très au fait de la science politique et expert en conseils. ›
Le rājā lui dit : ‹ Ô meilleur des brahmanes, les Pāndavas ombragent quotidiennement la terre. J’en suis extrêmement jaloux. Dois-je faire la paix ou la guerre avec eux ? Ô Kanika, donne-moi ton avis sincère, je ferai comme tu m’y invites. ›
À cette question du monarque, le brahme éminent à l’âme sereine lui répondit avec ces mots bien choisis conformes au propos de la science de la politique :
‹ Écoute, rājā irréprochable, pendant que je réponds à ta question. Ô meilleur des rois des Kurus, il ne convient pas que tu sois en colère contre moi après avoir entendu ce que j’ai à dire.
Que la massue soit toujours levée, que l’énergie soit toujours visible. Évitant soigneusement de commettre eux-mêmes des fautes, ils devraient sans cesse surveiller celles de leurs ennemis et en tirer avantage.
Que l’ennemi ne voie pas le défaut de ta cuirasse ; attaque l’ennemi par le défaut de la sienne, et mets à l’abri ton côté faible, comme la tortue cache ses membres.
Toute chose une fois commencée, que jamais elle ne soit mal exécutée ; car une épine mal coupée enfante une longue douleur. ›
Écoute, Mahārāja, lui répondit Kanika, l’aventure exacte d’un chacal, qui jadis vécut dans les bois et dont le regard embrassait les choses des Traités de politique.
Il était un “sage” chacal, qui avait terminé ses études et qui, soucieux de ses propres intérêts, habitait avec quatre amis : un tigre, un rat, un loup et une mangouste.
Un jour, ils virent dans les bois un cerf fort, le chef d’un troupeau, dont ils ne pouvaient s’emparer en raison de sa rapidité et de sa force.
Ils tinrent conseil et le chacal, ouvrant les débats, dit : ‹ Ô tigre, tu as fait beaucoup d’efforts pour te saisir de ce cerf, mais toujours en vain, car ce cerf est jeune, rapide et très intelligent.
Que le rat aille mordre ses pattes quand il repose endormi. Ensuite, ne pouvant plus courir avec ses pieds mangés, que le tigre fasse de lui sa victime.
Puis, nous la mangerons tous, l’esprit en joie ! ›
Sur ces paroles du chacal, ils se mirent tous à la tâche soigneusement selon ses instructions. Le rat alla ronger les pattes du cerf et le tigre le tua comme ils avaient prévu.
Et voyant le corps du cerf gisant immobile sur le sol, le chacal dit à ses compagnons : ‹ Soyez bénis ! Allez faire vos ablutions. En attendant, je surveillerai le cerf. ›
Entendant ce que disait le chacal, ils allèrent tous au cours d’eau. Le chacal attendit là, méditant sur ce qu’il devrait faire.
Le tigre à la grande force, s’étant baigné, revint le premier et vit son ami, l’âme plongée dans la rêverie. Le tigre dit : ‹ Pourquoi es-tu si triste, Ô sage ! Tu es le plus intelligent de tous les êtres. Réjouissons-nous aujourd’hui en festoyant de cette carcasse. ›
Le chacal dit : ‹ Écoute, Ô toi puissamment armé, ce que dit le rat.
Il a dit : “Fi de la force du roi des animaux. C’est moi qui ai tué ce cerf et c’est par la puissance de mon bras qu’il va aujourd’hui satisfaire sa faim.”
Alors qu’il s’est vanté en de tels termes, pour ma part je ne toucherai pas à cette nourriture. ›
Le tigre répondit : ‹ Si en effet le rat a parlé ainsi, ma raison est maintenant éveillée. De ce jour, je tuerai de la puissance de mes propres bras les créatures qui vagabondent dans la forêt et ensuite festoierai de leur chair. ›
Ayant dit cela, le tigre s’en alla.
Après que le tigre eut quitté les lieux, vint le rat.
Le chacal lui dit : ‹ Béni sois-tu, Ô rat. Mais écoute ce qu’a dit la mangouste.
Elle a dit : “La carcasse de ce cerf est empoisonnée. Je n’en mangerai pas. D’autre part, si tu le permets, Ô chacal, je vais tuer le rat et en festoyer.” ›
En entendant cela, le rat s’alarma et rentra vite dans son trou.
Après que le rat fut parti, le loup, Ô rājā, revint de ses ablutions.
Le chacal lui dit : ‹ Le roi des animaux s’est mis en colère contre toi. Il va certainement t’arriver malheur. On l’attend ici avec son épouse. Fais comme il te plaira. ›
Ainsi, le chacal se débarrassa aussi du loup friand de chair animale. Le loup s’enfuit en contractant son corps le plus petit qu’il put.
C’est alors, Ô rājā, que vint la mangouste et le chacal lui dit : ‹ Par la force de mon bras, j’ai vaincu les autres qui ont déjà fui. Combats avec moi d’abord puis mange cette chair selon ton bon plaisir. ›
La mangouste répondit : ‹ En fait, comme le tigre, le loup et le rat intelligent ont tous été vaincus par toi, eux qui sont des héros, tu sembles être un plus grand héros encore. Je ne souhaite pas me battre avec toi. ›
Disant cela, la mangouste s’en alla aussi.
Kanika continua : ‹ Quand ils eurent tous quitté la place, le chacal, satisfait du succès de sa politique, mangea seul cette chair, qu’il devait à l’invention de son ingénieux stratagème.
Si les rois agissent tous de cette manière, ils peuvent être heureux. Ainsi, c’est en excitant la peur du timide, par l’art de la conciliation dans le cas du courageux, par le don de richesses au cupide, et par l’exhibition de sa prouesse aux égaux et inférieurs qu’on les amène… › »
Bhadra se tut lorsque le gong retentit 1. Toutes deux regagnèrent le salon attenant à la loggia, Dalaja s’installa dans son fauteuil, la demoiselle de compagnie alla dans l’antichambre pour s’enquérir de qui souhaitait s’entretenir avec la mahārājñī.
Lorsque Bhadra revint, le savāra2 Vari marchait à son côté. Dalaja ne comprit pas, comment pouvait-il se trouver ici, alors qu’elle l’avait chargé de remplir une mission à Thanjavur ? Elle se dressa comme un naja qui déploie sa coiffe, prêt à frapper.
Le savāra était au service de la mahārājñī depuis plus de vingt ans. Pour la première fois, il lut, du courroux dans son regard. Aussi débita-t-il d’une traite en s’inclinant :
« Namasté, Mahārājñī. La devadāsī est arrivée !
— Mais ce n’est pas possible, il n’y a que deux semaines que je vous ai envoyé la quérir. Il faut un mois pour rejoindre Thanjavur, et autant pour en revenir. Vasikari ne peut pas plus être dans nos murs que vous ne devriez l’être ! s’insurgea Dalaja, en insistant sur le nom de la devadāsī.
— Mahārājñī, je n’ai pas eu à me rendre à Thanjavur, j’ai rencontré la devadāsī à Sāṁcī . Désireuse de vous entretenir de ses inquiétudes, elle avait quitté Thanjavur trois semaines plus tôt, expliqua le savāra.
— Fidèle Vari, êtes-vous certain qu'il s'agit bien d'elle ? demanda la mahārājñī d’un ton apaisé, mais sceptique.
— Euh ! il est impossible de se tromper, affirma Vari mal à l’aise.
— Faites-la entrer ! ordonna Dalaja.
— Elle n’est pas seule, intervint Bhadra. »
Dalaja n’arriva pas à réprimer l’espoir que Candra accompagne la devadāsī.
« Faites-les entrer ! s’impatienta-t-elle. »
Trois personnes pénétrèrent dans le salon, saluèrent en portant añjali mudrā3 au chakra de la couronne puis au chakra du cœur. À leur vue, les émotions de Dalaja se bousculèrent, la stupéfaction qui la saisit fut percutée par l’incompréhension, suivie par une révélation qui généra une terrible colère et une immense joie. La mahārājñī était tétanisée, ses sentiments se télescopaient, se heurtaient, se fragmentaient, se reconstituaient comme des images dans un kaléidoscope. Comme une carpe hors de l’eau, à plusieurs reprises elle ouvrit et referma la bouche, bouleversée, elle tituba. Bhadra la prit par le bras et l’aida à s’asseoir.
Dès qu’elle estima que la mahārājñī avait repris ses esprits, Vasikari battit des cils en signe d’assentiment. Aussitôt, ceux qui l’entouraient, avancèrent, se prosternèrent devant Dalaja. Délicatement ils lui prirent chacun une main, qu'ils tournèrent paume orientée vers le haut et les doigts vers le bas, puis ils y posèrent leurs fronts en disant : « praṇam, dādī »4.
Le bonheur supplanta tous autres sentiments. Accompagnant son geste d’un regard d’excuses, doucement, la mahārājñī retira sa main droite de celles de la jeune fille, elle la posa sur celles du garçon qui emprisonnaient sa dextre. Elle le fit se lever en même temps qu’elle, libéra ses doigts de la douce étreinte dans laquelle les maintenaient ceux de son petit-fils. Elle prit son visage entre ses mains, les larmes envahirent ses yeux, tant il était identique à celui de Candra au même âge. Elle ne remarqua pas qu’il avait la peau sombre de sa mère ni que son crâne lisse était dépourvu de l’abondante chevelure de celui qu’elle voyait en le regardant. Elle n’entendit pas plus la devadāsī dire : « je vous présente mon fils, “Karuppu ṭirākaṉ” ! »
Dalaja se détacha du jeune homme, elle se tourna vers celle qui en signe de respect était restée à genoux, elle lui tendit les mains, la releva, elle la saisit par les épaules et admira l’ovale d’une face juvénile aux traits délicats, ses fins sourcils, ses yeux en amande, aux longs cils, berceau d’un nez droit, à base légèrement élargie, qui surmontait une bouche charnue.
Vasikari dit : « voici ma fille, “Sudaroli” ». La mahārājñī trop occupée à chercher ce qui l’intriguait tant dans le visage, si familier, de cette dernière, ne saisit pas son nom.
Elle avait les traits, la couleur – ambrée rougeâtre – du miel de cerisier, les yeux de jais et les cheveux aile de corbeau de Candra. Mais elle avait quelque chose en plus, quelque chose d’indéfinissable, dans le regard et le sourire. Soudain, Dalaja réalisa, c’était flagrant, elle avait le sourire mutin de sa mère, et même en cet instant, d’intense émotion, dans ses yeux brillait l’espièglerie de Vasikari. Ce qui rappela l’existence de la devadāsī à Dalaja, ravivant sa colère envers elle.
Elle prit ses petits-enfants dans ses bras, les serra contre elle, se les appropriant, leur baisa le front, et par-dessus leurs têtes, lança à leur mère :
« Comment, mais comment…
— Mahārājñī, je suis restée auprès de Candra plus d’une semaine », l’interrompit Vasikari, simulant une méprise sur le sens de la question, avec un sourire désarmant.
Et cela fonctionna, un sourire étira les lèvres de Dalaja, puis elle laissa s’échapper le soupir et le mouvement de tête, qui marquent l’indulgence à l’égard des incorrigibles garnements. La colère de la mahārājñī retomba. Lorsqu’elle reprit la parole, il ne restait dans sa voix que l’incompréhension et la déception d’avoir été trahie par celle avec qui elle avait passé un pacte plus de quinze ans plus tôt.
« Comment as-tu pu ? Pourquoi ? »
Une expression que Dalaja n’y avait jamais observée, apparut sur le visage de Vasikari. Sérieuse, du ton que l’on emploie pour énoncer une évidence, avec respect, à ceux qui ne la voient pas, elle exposa :
« Mahārājñī… combien de temps croyez-vous qu’auraient vécu les enfants de Candra et d’une devadāsī tamoule, si leur existence avait été connue à Jaipur ? … Croyez-vous qu’ils auraient vu le jour, si je vous avais fait savoir que je les portais ? »
La bouche de Dalaja s’ouvrit pour une protestation, mais c’est l’inquiétude qu’elle exprima :
« Vari ?
— À leur vue, personne ne peut ignorer qui ils sont. Très nombreux sont ceux qui les ont vus, tous les occupants du palais doivent actuellement savoir qu’ils sont chez vous, mahārājñī ! déclara le savāra, ajoutant aussitôt. Rien ne peut leur arriver dans le palais, le mahārāja ne tolérerait pas que l’on vous offense de telle manière.
— Pourquoi maintenant, Vasikari ?
— Mahārājñī…
— Mahārājñī, mahārājñī, cesse donc ! Les enfants, eux ont bien su m’appeler naanee. Bhadra apporte des poufs qu’ils puissent s’asseoir à mes côtés ! ordonna Dalaja en reprenant place sur son fauteuil.
— Ils sont vos petits-enfants, je suis une devadāsī. J’ai porté les enfants de Candra, mon corps et mon cœur sont à lui, il ne quitte jamais mes pensées. Mais l’effigie de Śiva orne le médaillon du thâli5 que je porte autour du cou, je suis l’une de ses épouses éternelles. Je ne peux vous appeler sautēlī mām̐ !
— Appelle-moi maan, ou Dalaja, mais dit moi pourquoi tu les mets en danger aujourd’hui ?
— Maan, ils sont grands aujourd’hui, ils sont à même de se défendre, tous deux pratiquent le Silambam6 et le Kaḷaripayat…7 »
Vari quêta du regard, auprès de la mahārājñī, l’autorisation d’interrompre la devadāsī. Il l’obtint.
« À quel niveau pratiquent-ils le Kaḷaripayat ? demanda le savāra incrédule.
— Ils maîtrisent Verumkai8. Leurs gurukkaḷ9 affirment qu’à eux deux ils peuvent tenir tête à une dizaine de combattants. »
Une lueur de respect s’alluma dans le regard de Vari.
« Vous n’ignorez pas le lien qui m’unit à votre fils, reprit Vasikari. Depuis près d’un an, le lien était distendu. Ses caresses étaient si lointaines que je les percevais à peine comme le souffle d’une respiration apaisée. Mais depuis un mois, ce ne sont plus les doigts de Candra qui touchent notre lien. Je suis inquiète pour lui.
— Moi aussi, je m’inquiète de ne pas recevoir de nouvelles, de sa part, c’est inhabituel. C’est pour cela que j’avais envoyé Vari au temple de Râjarâjeshvaram, j’espérais que tu pourrais me rassurer. Mais comment te portes-tu ?
— La plupart du temps, la larme est dissimulée, enfermée dans un coffret, une bourse ou je ne sais quoi. Elle n’est pas volontairement maltraitée, mais elle ne voit pas le soleil et n’est en contact avec une peau que très peu de temps chaque jour, je commence à m’affaiblir.
— Nous allons bien nous occuper de toi, Bhadra fait nous servir une collation !
— C’est gentil, Mahārājñī, pardon, maan
— Pfftt, Pfftt ! Oublie ça !
— Lorsque je danse pour lui, Śiva me parle. Il dit que si Candra – votre fils, le père de mes enfants – n’est pas l’avatar du doublement né 10, il en a le penchant pour les amours multiples et tumultueux. Il estime qu’il est temps que mes enfants rencontrent leur père, où qu’il puisse se trouver.
— Mais nous ne savons pas où il est, cela fait un an que je n’ai plus de nouvelles. J’espérais que tu pourrais m’en donner, se désola Dalaja.
— Dites-nous d’où il vous a donné des nouvelles pour la dernière fois, Karuppu ṭirākaṉ et Sudaroli commenceront leurs recherches à partir de là. »
« Comment ça : Karuppu ṭirākaṉ et Sudaroli ? s’étonna Dalaja, suspicieuse.
— Croyez-vous que l’envie de rejoindre Candra ne me dévore pas ? Croyez-vous que l’idée d’être loin de mes enfants ne m’anéantit pas ? Croyez-vous que l’angoisse me quittera une seule seconde pendant cette séparation ? Pourtant, ils partiront seuls, ainsi en a décidé Śiva.
— Mais, mais pourquoi ? s’enquiert la mahārājñī, déconcertée.
— Depuis avant même qu’ils ne voient le jour, Śiva veille sur eux. Je suis son épouse, accéder à ses demandes est mon devoir. Je ne peux ni ne veux discuter ses décisions. Retourner au temple, danser pour lui ne peut que l’inciter à continuer de leur accorder sa bienveillante attention.
— Mais ce sont des enfants, Vasikari !
— Ce sont de redoutables combattants à la recherche de leur père. Ils nous ramèneront Candra, n’en doutez pas ! affirma la devadāsī, pour s’en persuader.
— Ne craint rien, dādī13, nous le trouverons et nous te le ramènerons, ajouta Sudaroli.
— Avant même de nous rendre à Thanjavur pour t’embrasser, am’mā14 », entérina Karuppu ṭirākaṉ.
Tandis que des servantes pénétraient dans le salon de la mahārājñī, déposaient sur une table basse des plateaux de fruits, bilva, siṅghāṛā, kakaṛī, chuhārā et akharōṭa, des coupes en or incrustées de pierres fines, deux carafes d’anāra kā rasa, ainsi que des plats de śrīkhaṇḍa et des mālapuā15, Dalaja s’adressa à Vari :
« Puisqu’il sait que j’ai des visiteurs et qui ils sont, le mahārāja doit s’impatienter. Tu vas donc te rendre chez lui, tu lui diras qu’il me serait agréable qu’il daigne me recevoir, accompagnée de nos petits-enfants et de leur mère.
— Mahārājñī, je transmets votre souhait de ce pas », mais sûrement pas en ces termes, ajouta-t-il in petto avant de sortir.
Lorsqu’elles eurent terminé, les servantes se retirèrent à l’exception de deux d’entre elles. Une aiguière dans une main et un bassin de l’autre, elles versèrent l’eau sur les mains de Vasikari, de ses enfants, de Bhadra et de la mahārājñī qui invita ses hôtes à s’installer autour de la table. Dalaja refusa le coussin que la fille du rājā de Dungarpur s’apprêtait à glisser sous elle, c’est sur le sol qu’elle s’assit en tailleur, comme ses invités.
« Namasté, Savāī16. La mahārājñī Dalaja serait infiniment reconnaissante envers son époux bien-aimé s’il consentait à la recevoir, accompagnée de la devadāsī Vasikari ainsi que des enfants de celle-ci.
— Namasté, Vari. Sont-ce ses mots ?
— c’est son souhait, Savāī.
— Vari, Vari ! Pourquoi t’ai-je détaché à son service ? Tu es bien plus que le savāra qui veille sur sa sécurité, tu es celui qu’elle charge de ses missions de confiance et surtout tu es un diplomate hors pair. Dis-moi franchement, ce qui se dit dans les couloirs du palais et se murmure auprès de moi, est-ce vrai ?
— Oui ! Savāī. J’ai été saisi par la ressemblance avant même de savoir qu’ils voyageaient avec la devadāsī.
— Qu’en déduis-tu ?
— Savāī, il ne m’appartient pas de me prononcer sur ce sujet, mais la mahārājñī est convaincue et si elle se trompe, c’est que Śiva a tout fait pour cela.
— Fi de la diplomatie, que veut Dalaja ?
— Je ne saurais vous dire, Savāī. Je suppose qu’elle souhaite vous entendre lui dire que votre interdiction d’attenter à la vie des enfants de la devadāsī perdurera, en tout temps et en tous lieux.
— Toi, Vari, dis à ton rājā, ce que tu penses de ces jeunes gens.
— Savāī, je les connais peu.
— Tu es le premier à les avoir rencontrés, l’interrompit le mahārāja.
— Je ne le nie pas, Savāī. J’attirais votre attention sur le fait que si en voyageant pendant une semaine avec une personne, on se fait une opinion à son sujet, il se peut qu’avec le temps ce jugement se révèle erroné. Néanmoins, je crois pouvoir affirmer que ce sont de bons enfants, dévoués, qui obéissent à leur mère et respectent leurs aînés.
— Depuis quand Dalaja savait-elle que ces enfants existaient ?
— Oh ! Elle l’ignorait avant qu’ils n’entrent dans son salon, Savāī. J’ai cru qu’elle allait défaillir quand elle les a vus. Seule la main secourable de la fille du rājā de Dungarpur lui permit de s’asseoir.
— Dis-m’en plus sur eux.
— Eh bien, c’est en les voyant à Sāṁcī que j’ai compris que la femme qui les accompagnait était celle que votre épouse dévouée m’avait fait quérir. La ressemblance est frappante, Savāī, mais ils ne sont pas semblables. Il y a en elle une légèreté, une fantaisie, qu’elle tient de sa mère, mais chez toutes deux ce n’est probablement qu’une façade. Lui semble réfléchi, résolu et hardi.
— Réfléchi, résolu et hardi ! Et il tiendrait cela de son père ? s’esclaffa le mahārāja.
— Si j’osais, Savāī, je dirais que parfois certains traits de caractère sautent une génération.
— Mais tu n’oseras pas ! Dis-moi plutôt pourquoi Dalaja t’a demandé d’amener la devadāsī ici.
— Elle ne s’est pas confiée à moi, Savāī. Vous savez que sans nouvelles de Candra depuis un an, la mahārājñī est inquiète. Il en est de même pour la devadāsī, elle dit être reliée à un objet, cher à votre quatrième fils, qui ne serait plus en sa possession. Ce lien, dont d’après la conversation qu’elles ont eue plus tôt la mahārājñī avait connaissance, est probablement à l’origine de ma mission.
— Sûrement sa briolette, il la touche à tout bout de champ. Mais pourquoi ces jeunes gens ont-ils accompagné leur mère à Jaipur ?
— Tous deux semblent déterminés à retrouver… votre quatrième fils, Savāī. La devadāsī affirme que Śiva cautionne leur quête.
— Mais ce sont des enfants, Vari !
— Votre épouse aimante a adressé ces mêmes mots à leur mère. Laquelle a répondu que tous deux pratiquaient le Silambam et le Kaḷaripayat au plus haut niveau, Savāī. »
De la main gauche, pendant de longues secondes, le mahārāja tirailla la pointe de son bouc, signe d’intense réflexion que le savāra se garda bien d’interrompre. Puis manifestement satisfait, il répondit :
« Vari, dis à ma bien-aimée Dalaja que je la recevrais, elle et ses visiteurs, dans… une heure. »
L’intelligence de Dalaja égalait son incomparable beauté. La mahārājñī était ce qu’il est convenu d’appeler une fine mouche.
Aussi, après avoir prié le savāra Vari de lui rapporter, mot pour mot, sa conversation avec le mahārāja, elle prépara l’entrevue en donnant des consignes précises à ses hôtes, et prit quelques dispositions vestimentaires.
De son côté, le mahārāja était partagé entre l’irritation, provoquée par la présence au palais de ces – plus que probablement – bâtards, voire par leur existence, et le plaisir d’un entretien avec sa chère Dalaja, qu’elle envisageait certainement comme une partie de caturaṅga21. Tous deux adoraient ce jeu auquel ils excellaient.
Aussi peaufina-t-il la stratégie que les dires de Vari lui avaient inspirée. Si les choses se passaient comme il le souhaitait, une part du problème, si ce n’est la totalité, pourrait bien disparaître.
Il avait choisi de recevoir Dalaja et ses visiteurs à l’heure où – en cette saison – le soleil, à travers la fenêtre donnant sur le patio, inondait de ses rayons la porte d’entrée du salon. Il fit donc installer son siège devant cette fenêtre au pied duquel – sur le marbre blanc – on étendit une tapisserie représentant Dhṛtarāṣṭra vilāpa22.
Bien qu’averti, lorsque les deux battants de la porte s’ouvrirent, le mahārāja fût frappé de stupeur. Tous avaient parlé de ressemblance saisissante, mais voir son fils – tel qu’il était une quinzaine d’années plus tôt – marcher vers lui dépassait ce à quoi il s’était préparé.
Sidéré, il voyait s’avancer son rejeton, habillé d’un salavāra kamīza23 décontracté – qui masquait la poitrine naissante de Sudaroli – comme il en portait si souvent. Ses cheveux aile de corbeau tombaient sur ses épaules, encadrant un visage ambré rougeâtre, dans lequel brillaient des yeux de jais.
Savoir est une chose, voir en est une autre. Sa raison avait beau lui dire que ce n’était pas Candra, qu’il fut ainsi il y a bien longtemps, ses yeux voyaient Candra.
Il y avait plus perturbant encore. À son côté, chaussé de jūṭī, vêtu d’un cūṛīdāra-pājāmā et d’une am̐garakhā, coiffé d’un pagaṛī24 – lequel dissimulait l’absence de chevelure de Karuppu ṭirākaṉ – orné d’un sarapeca, avançait un second Candra. La similitude de la tournure et du visage fit oublier son teint trop foncé au mahārāja.
Ses certitudes déferlaient contre la fascination – engendrée par les traits chéris, menteurs, contrariants – sans l’ébranler : Candra ? Impossible ! Deux ! Ses enfants ? Que font-ils ici ? Ils ne sont pas éblouis ! Elle savait pour le soleil ! Évidemment !
Klang ! Le bruit des deux vantaux, qui se refermaient derrière Dalaja et la devadāsī, ne rompit ni le charme ni le flot de ses réflexions : pourquoi les ai-je exposés en pleine lumière ? J’aurais dû penser qu’elle les mettrait en avant ! Pas le sarapeca de Candra ! Juste une plume d’aigrette ! Elle n’a pas osé !
Ce sont les mots de Dalaja : « Vijaya, merci de me recevoir, avec nos pōtā-pōtī25 et leur mère », qui l’arrachèrent à la confusion dans laquelle l’apparition des adolescents l’avait plongé.
Sans considération pour le salut des jeunes gens qui s’étaient agenouillés, avant d’énoncer « praṇam, Savāī », têtes baissées, le mahārāja éluda, avec humeur, l’exorde de son épouse : « mahārājñī, je n’ai pas saisi l’objet de cette entrevue ! »
Dalaja hésita le temps d’un battement de cils. Avait-elle poussé son attaque trop profondément ? Jamais il ne s’adressait à elle en ces termes. Colère ou contre-attaque ? Son but était trop important pour qu’elle commette une bévue, elle choisit l’apaisement :
« Savāī, peut-être te souviens-tu de la devadāsī Vasikari, qui vint danser pour nous à l’occasion des quinze ans de Candra. Depuis elle a un lien avec notre fils…
— Un lien ? Mais de quel lien parles-tu ? l’interrompit Vijaya, en dévisageant ostensiblement les jeunes gens.
— Je parle d’un lien immatériel, d’une perception intuitive, commença Dalaja en ignorant l’insinuation de son mari.
— Tu parles de magie, qui nous dit que l’apparence de nos visiteurs n’est pas trompeuse ? la coupa le mahārāja.
— Je respecte mes parents et les leurs, ainsi que mes aînés. Mais je ne laisserais personne, fût-ce vous, Savāī, voire Śiva ou un autre membre de la Trimūrti, manquer d’égards à l’adresse de ma mère ! »
Vari a raison. Ce garçon s’est exprimé sans crainte, sans colère, sans agressivité, mais avec assurance, fermeté et détermination, comme j’eus pu le faire dans la même situation. Qu’à cela ne tienne, son teint crie son appartenance au peuple dravidien. Mon plan, je dois m’y tenir.
« Telle n’était pas mon intention, concéda Vijaya. Dalaja, veux-tu m’éclairer sur l’objet de cette réunion ?
— C’est ce que j’avais entrepris, avant que tu ne te méprennes sur la nature du lien que j’évoquais. Mais je tiens à te remercier d’avoir supposé ce que tu as laissé entendre. Non, mon amour ne m’interrompt pas, s’il te plaît. Depuis une petite année, ce lien est lâche et il s’est rompu il y a un mois. »
Fichue femme, tu me piques et me pries de ne pas répondre. La voici ma réponse :
« C’est une bonne nouvelle, mais il n’était pas nécessaire que la devadāsī vienne nous l’annoncer elle-même, avec ses enfants.
— Vijaya, soupira la mahārājñī d’un air consterné en dodelinant de la tête. La briolette de Candra est le support de ce lien. Vasikari pense – et je suis de son avis – que ce n’est pas de son plein gré que notre fils s’est défait de son pendentif.
— J’en conviens, mais pourquoi venir à Jaipur, avec ces enfants ?
— Ces enfants sont les miens, ils n’ont besoin de nulle autre filiation ! » intervint Vasikari.
La mahārājñī posa une main apaisante sur le bras de la devadāsī et reprit la parole :
« Sans nouvelles de Candra depuis de trop nombreux mois, j’ai envoyé Vari quérir la devadāsī Vasikari, car j’espérais qu’elle ait reçu de ses nouvelles. Lorsque le lien fut brisé, les enfants de Vasikari décidèrent de retrouver le nôtre. Ne sachant où commencer leurs recherches, la devadāsī choisit de venir me demander de quel endroit m’était parvenu son dernier courrier. Mais je ne peux laisser partir ces enfants – que je chéris déjà – si démunis. Alors, je te prie de les équiper et éventuellement de leur fournir une escorte », elle imposa le silence à Vasikari en posant la main sur son avant-bras.
— Tu demandes beaucoup Dalaja, que donneras-tu à tes protégés ?
— Je chargerai Vari de les accompagner.
— Pour te plaire, je veux bien envisager d’équiper ces jeunes gens, mais… non, ne proteste pas mon amour, je dois m’assurer qu’ils sont dignes de nos présents. J’ai entendu vanter leurs qualités de combattants. Je désire les voir combattre, afin que j’apprécie l’équipement qu’ils méritent. Qu’en pensez-vous, devadāsī ?
— Je suis d’accord, Savāī, acquiesça Vasikari.
— Je ne parle pas d’entraînement, mais de combat, ce n’est pas sans danger. Vos enfants pourraient être blessés.
— Je comprends, Savāī, dans un combat une erreur peut être fatale, répliqua Vasikari avec un sourire entendu. Mais Śiva veille sur mes enfants.
Autour du cercle de terre battue, dédié aux entraînements des guerriers, ne se trouvaient que le mahārāja Vijaya, la mahārājñī Dalaja, le savāra Vari, la devadāsī Vasikari, sa fille Sudaroli, son fils Karuppu ṭirākaṉ, ainsi que Pahāṛa le garde du corps du mahārāja – un géant d’une taille de quatre coudées et un empan –, un Rājapūta26 répondant au nom d’Abhaya – inconnu de Dalaja, qu’elle supposa être un exécuteur de basses œuvres – et Bahādura le maître d’armes de Jaipur.
Vijaya s’était gardé de désigner ce dernier pour affronter l’un des enfants de Vasikari : comment justifier de sa part un manque de maîtrise ayant provoqué un accident mortel ?
Karuppu ṭirākaṉ avait revêtu un salavāra kamīza noir, comme sa sœur, ce qui accentuait leur gémellité, tout en attirant l’attention sur sa calvitie. Tous deux avaient choisi de combattre pieds nus.
Au grand dam du mahārāja, la devadāsī avait émis le souhait que Sudaroli soit la première à rencontrer l’un de ses champions. Il lut dans le regard de Dalaja qu’un refus serait considéré comme un aveu.
Le maître d’armes invita Pahāṛa et Sudaroli à pénétrer dans le cercle. Guère plus haute que cinq pieds, kuccikaḷ27 en main, sans autre protection que le coton, elle semblait si fragile face au colosse, que tous – hormis sa mère et son frère – eurent la certitude qu’il allait la briser tel un rameau, d’une seule main. Pahāṛa, vêtu d’un chihal’ta hazar māshā28, enfila son avant-bras gauche dans les deux poignées arrière de son ḍhāla29, dégaina un talavāra30 démesuré – doté d’une lame longue de trois pieds et large de deux pouces –, se mit en garde et ancra ses pieds au sol comme s’il s’apprêtait à subir l’assaut d’une escouade de cavalerie.
Le mahārāja ne put sceller ses pensées, il murmura :
« David contre Goliath !
— Savāī, Goliath fut vaincu, chuchota le maître d’armes qui se trouvait à son côté.
— Mais elle n’a pas de fronde, seulement des bâtons, conclut le mahārāja.
— Que le combat commence ! proclama Bahādura. »
Sudaroli fit tourner ses bâtons entre ses mains, de plus en plus rapidement, simultanément elle se déplaçait autour de Pahāṛa, bientôt, à la stupéfaction des Rājasthānīs, elle sembla se mouvoir derrière deux grands boucliers circulaires imbriqués.
Vijaya interrogea le maître d’armes du regard.
« J’avais ouï dire que des Gurukkaḷ accomplissaient cette prouesse, Savāī, mais je n’avais jamais vu quelqu’un la réaliser, s’extasia Bahādura. C’est incroyable, vous rendez vous compte, Savāī, de la dextérité requise pour obtenir une telle vitesse, mais également de la coordination nécessaire des kuccikaḷ pour qu’ils ne se heurtent pas. »
Après avoir condamné du regard l’enthousiasme du maître d’armes, Vijaya reporta toute son attention sur ce combat dont il ne savait plus que penser.
Brusquement, un des boucliers s’effaça, l’extrémité d’un bâton se précipita en direction de Pahāṛa qui la détourna facilement d’un mouvement circulaire de son talavāra, le bouclier réapparu. Sudaroli et Pahāṛa échangèrent quelques attaques manifestement destinées à évaluer l’adversaire, puis la jeune fille cessa toute tentative.
Le garde du corps du mahārāja sabrait en lignes hautes – dessus et dedans – et basses – dehors et dessous – 31. Il faisait alterner les coups de pointe au corps et de tranchant – à la figure, de banderole, à la tête, au poignet, au ventre, à la jambe, au flanc –, mais chaque fois, sa lame était rejetée par un kucci ou Sudaroli esquivait, à droite, à gauche ou en arrière. Jamais celle-ci ne ripostait, elle se contentait de se déplacer autour de son adversaire.
Pahāṛa – agacé par ce mirmidon sautillant qu’il ne pouvait atteindre et dont il ne réussissait pas plus à couper l’un des bâtons – jeta ostensiblement son ḍhāla hors du cercle, sa main gauche rejoignit la droite sur la poignée du talavāra qu’il brandit au-dessus de sa tête. Il se rua sur l’adolescente et porta un coup vertical qui eut fendu en deux un guerrier casqué, mais il tailla dans le vide une fois de plus. Pris de colère, il se mit à frapper comme un bûcheron à tour de bras, horizontalement, verticalement, en diagonale à droite comme à gauche, mais toujours en vain.
Ce fut le mahārāja qui, malencontreusement, précipita la fin du duel.
« Ne peux-tu venir à bout d’une enfant ? » s’écria-t-il.
Une fraction de seconde, Pahāṛa cessa de fixer son attention sur Sudaroli. Son regard glissa vers Vijaya qui se trouvait derrière celle-ci, mais lorsque le mahārāja commença à apparaître dans son champ de vision, dans la partie inférieure de celui-ci il perçut l’attaque en pointe du bâton. En garde haute, il eut beau lâcher le talavāra de la main gauche afin de parer plus rapidement le coup bas, quand la lame trancha le bâton, celui-ci avait violemment heurté son genou droit. Déjà, son appui lui faisait défaut, avant même que Pahāṛa ne trébuche et que le talavāra ne se fiche dans le sol. Le second kucci l’avait frappé au sthapanī marma32, un flot de sang se mit à couler par sa bouche.
Immédiatement, Karuppu ṭirākaṉ interpella le maître d’armes : « Bahādura-jī33, aidez-moi à l’asseoir ! »
Celui-ci réagit instantanément, comme l’adolescent, il se précipita vers Pahāṛa, qui s’abattit face contre terre, faisant trembler le sol. Sans l’aide du maître d’armes, jamais le fils de Vasikari n’eût pu retourner le colosse sur le dos, puis l’asseoir – fusse avec l’assistance de sa sœur – et le maintenir dans cette position, afin que Sudaroli puisse appliquer en toute sécurité la pression appropriée sur l’adhipati marma34 du géant à l’article de la mort. Elle jugula l’hémorragie et rétablit les fonctions vitales de son antagoniste. Alors, que celui-ci était hors de danger, Bahādura – après avoir allongé Pahāṛa qui revenait lentement à la vie – partit chercher des hommes pour transporter le blessé, Sudaroli s’adressa au mahārāja :
« Savāī, votre garde du corps se remettra. Mais face à un adversaire si redoutable, je crains d’avoir mal contrôlé la puissance du coup que j’ai porté à son Jānu marma35, j’ai peur qu’il ne boite jusqu’à la fin de ses jours et que vous dussiez vous priver de ses services. Vous m’en voyez désolée, Savāī. »
Il s’était passé une poignée de secondes, entre son persiflage et le départ du maître d’armes, pendant lesquelles : il fut stupéfait, puis consterné, reconnut et minimisa le rôle de sa raillerie, hésita entre fierté et agacement à l’égard de sa pōtī. Lorsqu’elle s’adressa à lui, il se demanda quelles parts occupaient respectivement la sincérité et le sarcasme dans ses excuses.
« Si un reproche doit être fait, c’est à moi. J’aurais dû tenir ma langue. J’ai sous-estimé ta compétence aussi bien comme soigneuse que comme combattante, je te félicite pour cette victoire ! », concéda-t-il.
Le second duel ne pouvait avoir lieu en l’absence du maître d’armes. Le mahārāja, la mahārājñī, la devadāsī, ses enfants et Vari avaient regagné le salon de Vijaya, où il fit servir des rafraîchissements. Le savāra n’ignorait pas que si le mahārāja l’avait prié de se joindre à eux, c’était pour qu’il ne puisse conter à qui voudrait l’entendre comment la frêle adolescente, qui ressemblait tant à Candra, avait défait l’indestructible Pahāṛa – ainsi que Dalaja n’eut manqué de l’en charger. Laquelle se demandait où était le dénommé Abhaya. Son époux, lui, songeait que si les deux plus belles femmes du monde se trouvaient à ses côtés, il se serait volontiers passé de la présence de l’une d’entre elles, et surtout des enfants de celle-ci. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de penser à Sudaroli : quelle combattante ! Jamais elle ne fut en danger. Agile et rapide, elle avait dansé telle une nevalā face aux crochets du nāga36, saisissant la première occasion pour terrasser son adversaire.
Il la regarda, elle avait les traits et la carnation de Candra, ses formes ne tarderaient pas à s’épanouir à l’instar de celles de sa mère. De celle-ci, elle possédait déjà ce je-ne-sais-quoi, fait d’impertinence, de naïveté et d’espièglerie, qui l’agaçait tant, sans aller jusqu’à le courroucer. Elle sera d’une beauté sans égale, elle pourrait épouser un rājā pour sceller une alliance. Mais son frère a la peau noire, lui. Si par malheurs les aînés de Candra venaient à mourir sans héritier, faisant de lui mon successeur, l’existence d’un rājakumāra métissé dravidien, même enfant naturel, mettrait le rājya en péril. Candra, tu m’as mis dans une situation impossible. Ta mère ne me pardonnera jamais.
Pour ne pas être englués dans le silence de Vijaya plongé dans ses pensées, ses hôtes échangeaient des propos anodins en attendant le retour de Bahādura.
À son arrivée celui-ci s’entretint discrètement avec le mahārāja, puis, avec son assentiment, il déclara :
« Lorsque je les ai quittés, le rājavaidya37 et le vaidyarāja38 chargé des soins aux officiers de l’armée discutaient, de la pertinence d’avoir recours à la śalya cikitsā39 sur le genou de Pahāṛa, mais ils ne pensaient pas pouvoir éviter la claudication. Pahāṛa s’excuse d’avoir si mal représenté le mahārāja, il rend hommage à la guerrière qui l’a vaincu et la remercie de lui avoir sauvé la vie. Bien, passons au second combat. »
Lorsqu’ils approchèrent de l’aire d’entraînement, ils virent Abhaya – chaussé de savārī ke jūte, vêtu d’un cūṛīdāra-pājāmā et d’une cenamela śarṭa40, coiffé d’un pagaṛī, et un ḍhāla accroché dans le dos –, qui filait un enchaînement mainte fois répété de combinaisons 41 : couper, piquer, et piquer, couper, piquer, ou frapper, piquer, couper ; la fluidité du geste était parfaite. Ses pieds glissaient sur le sol, sans le quitter ni le marquer. Les deux lames tournoyaient lorsque l’halādī42 allait et venait d’une main à l’autre, après avoir simulé des coups d’estoc et de taille, hauts, moyens et bas. L’homme était manifestement ambidextre.
Mais ce qui retint l’attention de Sudaroli, ce furent les cakramoṃ43 accrochés à la ceinture du Rājapūta. Elle s’employa – avec succès – à convaincre son frère de ne pas combattre son adversaire à main nue, comme il l’avait préalablement décidé. Elle lui fit remarquer que le Rājapūta attirait ostensiblement l’attention sur sa dextérité à manier l’halādī afin qu’on ne prenne pas garde à ses armes de jet.
Accompagnée par Vari, elle se rendit à l’armurerie – dans laquelle son frère et elle avaient dû déposer leurs armes à leur arrivée au palais –, elle y laissa ses kuccikaḷ et en rapporta les uṟumikaḷ44 de Karuppu ṭirākaṉ, une ōrilaicuruḷ45 et une aintilaic curuḷ46. Lorsqu’elle les lui remit, il ceignit l’ōrilaicuruḷ autour de sa taille, plaçant la poignée sur sa hanche gauche, pommeau orienté vers le haut, selon son habitude et empoigna l’aintilaic curuḷ de la senestre.
Quand il constata que les deux antagonistes étaient prêts, Bahādura invita Abhaya et Karuppu ṭirākaṉ à pénétrer dans le cercle puis proclama :
« Que le combat commence ! »
Pendant la première seconde qui suivit le dernier mot du maître d’armes, Abhaya avait à deux reprises lancé simultanément un cakrama de chaque main. Les quatre cakramoṃ volaient déjà vers lui lorsque Karuppu ṭirākaṉ entama la chorégraphie destinée à créer un rideau de protection, formé par l’ondoiement des cinq lames, devant lui. Celles-ci interceptèrent les deux premiers cakramoṃ, les jetant au sol. Le troisième sectionna deux lames de l’aintilaic curuḷ, mais fut dévié par l’impact ; fort heureusement il fusa vers une zone inoccupée. Quand le quatrième atteignit le point visé, Karuppu ṭirākaṉ ne s’y trouvait plus ; poursuivant sa trajectoire, il se perdit dans la nature.
Immédiatement après ses lancers, Abhaya s’était emparé de son ḍhāla de la main gauche et avait saisi son dernier cakrama. Il avança vers le fils de la devadāsī, cakrama en avant, manifestant l’intention de couper les dernières lames de l’uṟumi. Karuppu ṭirākaṉ modifia sa gestuelle. Les lames accélérèrent, s’élevèrent en vue de coups de taille au-dessus du ḍhāla du Rājapūta. Celui-ci put totalement réprimer sa satisfaction de voir le Tamoul tomber dans son piège ; sa prise sur le cakrama changea au milieu de l’extension du poignet puis le lâcha à la fin du mouvement.
Abhaya ne se trahit ni par un imperceptible rictus né au coin de ses lèvres ni par une lueur de triomphe miroitant brièvement dans ses yeux sombres. Pourtant, ce n’est pas sur le ḍhāla, mis en opposition pour parer le coup de fouet des trois lames, que celles-ci s’abattirent, mais sur le cakrama qu’elles fracassèrent à moins d’un pied de la poitrine de Karuppu ṭirākaṉ. Le Rājapūta, certain d’avoir leurré l’adolescent, avait visé le cœur.
Dans le choc, l’une des lames de l’uṟumi s’était profondément déchirée, sans néanmoins se couper, ce qui rendait l’arme inutilisable, Karuppu ṭirākaṉ abandonna celle-ci sur le sol.
Abhaya avait pensé : bien qu’il soit indubitablement doué, ce gamin n’a jamais combattu pour sa vie. D’ailleurs a-t-il compris que sa vie était en jeu ? Réalisant qu’il avait sous-estimé l’enseignement prodigué à Karuppu ṭirākaṉ, il prit une décision radicale. Trois enjambées les séparaient, il porta la main à sa ceinture, se reprit, délaissa l’halādī, se rua sur le métis ; bras droit en avant, main en pronation.
Sūrya irrité par les jets de pâles répliques du sudarśana cakra – disque façonné avec les copeaux de son éclat, par Viśvakarmā47 – à l’encontre du protégé de Śiva, insinua entre les doigts d’Abhaya l’un de ses rayons, qui fut réfléchi par le métal celé par la main.
Karuppu ṭirākaṉ se préparait à combattre à main nue l’homme qui semblait vouloir se saisir de lui et le frapper de son ḍhāla. Lorsqu’il vit briller l’éclat, il comprit le danger. Talons levés, pieds nus glissant sur le sol, il recula le plus rapidement possible. Concomitamment, d’un geste fluide il empoigna l’ōrilaicuruḷ, déploya le bras, traça un ikāram 48 dans l’espace. La lame suivit le mouvement, abandonnant son tour de taille, décrivant les courbes qui lui permirent d’accélérer, d’atteindre le sommet du இ avant de fondre sur sa cible.
Tranchée, la main assassine roula sur le sol et s’ouvrit, révélant aux yeux de tous les bāgha ke nākhūna49.
Le maître d’armes s’écria : « félonie ! »
Avant que quiconque n’ait pu réagir, Abhaya se jeta littéralement sur sa dextre, dès qu’il fut à terre, il se griffa le visage sur les bāgha ke nākhūna. Il mourut en cinq battements de cœur.
Vijaya n’eut nul besoin de le voir pour sentir toute l’horreur contenue dans le regard que Dalaja porta sur lui. Aussi capitula-t-il, ce qu’il exprima en se rendant aussi rapidement que possible sans toutefois courir auprès de Karuppu ṭirākaṉ. Là, il posa les mains sur les épaules du garçon et d’une voix assez forte pour être entendu de tous, il lui dit : « Je suis heureux que ta mère ait raison, Śiva veille sur toi ! Dans mes bras, mon pōtā ! » Puis il l’embrassa longuement en s’interrogeant : ai-je le choix ? Non, il a survécu. En fais-je trop ? Cela sera-t-il suffisant pour apaiser son courroux ? J’en doute, mais c’est un début.
De son côté, Karuppu ṭirākaṉ, empêtré dans cette accolade inattendue, ne savait s’il devait lâcher l’ōrilaicuruḷ et rendre son étreinte au mahārāja. Aussi resta-t-il, bras ballants, dans ceux de son dādā50, à se demander comment le métal noir de l’arme avait pu réfléchir un rayon de soleil.
Bahādura confirma qu’Abhaya était mort.
« C’est ennuyeux, nous ne saurons jamais qui avait commandité cette vilenie, commenta le mahārāja.
— Oh ! Je doute fort que l’on puisse faire avouer à qui que ce soit, fût-ce en le torturant, qu’il avait agi sur l’ordre de celui qui le fait interroger, et s’il était assez stupide pour le faire, il me semble évident que cela ne mettrait pas fin aux sévices. Aussi, n’avait-il d’autre solution que mourir pour s’éviter un long calvaire, allégua Dalaja.
— Que sous-entends-tu par cette phrase alambiquée ? s’offusqua Vijaya.
— Il n’est pas rare qu’un séide fasse un excès de zèle, mettant ainsi dans l’embarras celui qu’il croit servir », intervint Vasikari pour tenter d’apaiser la tension entre la mahārājñī et son mari.
Saisissant l’occasion du silence qui s’ensuivit, le maître d’armes s’excusa auprès du mahārāja – après lui avoir glissé à l’oreille que guerriers exceptionnels, ces enfants étaient de l’étoffe des héros –, car il devait prendre des dispositions concernant le corps d’Abhaya.
Vijaya convia son épouse, ses pōtā-pōtī et leur mère à dîner avec lui.
Vasikari s’empressa d’accepter, avant que Dalaja, persuadée qu’il avait ourdi la mort de Karuppu ṭirākaṉ, ne lui signifie un refus cinglant.
L’ambiance était glaciale. Bien que présente, la mahārājñī n’avait pas même picoré dans l’un des nombreux plats disposés devant eux, elle n’avait pas plus adressé la parole à Vijaya, lequel essayait désespérément d’insuffler un minimum de convivialité en demandant aux adolescents de lui parler d’eux. Vasikari chuchotait à Dalaja un plaidoyer en faveur du mahārāja, « Soyez indulgente, nous n’avons aucune certitude. Quel que soit son instigateur, cet acte déloyal vous sert. Si vous lui accordez votre pardon, il vous sera redevable. »
N’imaginant aucune autre solution pour obtenir la mansuétude de Dalaja, à brûle-pourpoint le mahārāja déclara :
« Dalaja, et vous…
— Vasikari, lui souffla Sudaroli en souriant.
— Vasikari, reprit-il. Dès ce soir, je vais envoyer des messagers dans toutes nos principautés invitant leurs représentants à une réception au cours de laquelle nous présenterons les enfants de Candra. Ses frères y assisteront. »
Dalaja se leva, approcha de Vijaya, lui déposa un baiser sur les lèvres et lui dit :
« Je vais m’efforcer de croire que tu n’as pas failli à ta parole, ainsi n’aurai-je pas à te pardonner l’impardonnable.
— Je vous remercie, Savāī, de l’honneur que vous faites à mes enfants, intervint la devadāsī. Mais n’envoyez point de messagers. Nous sommes venus à Jaipur pour apprendre de quel endroit Candra a donné des nouvelles pour la dernière fois. Vous nous l’avez révélé, mes enfants doivent au plus tôt se rendre à Bénarès pour rechercher leur père. La mahārājñī vous a demandé de les équiper, vous vouliez vous assurer qu’ils sont dignes de vos présents, conviendrez-vous qu’ils le sont, Savāī ? »
Celui-ci acquiesça.
« Mais ils se passeront d’escorte, reprit Vasikari. Il est inutile que je vous explique pourquoi, je pense. Mahārājñī, comme vous le savez, il me suffit qu’ils soient les miens, je ne revendique rien pour eux. Vous que Candra appelle māṁ, comprenez que lui seul pourra, s’il le désire, réclamer que mes enfants soient reconnus comme les siens. Sa situation m’inquiète, mes enfants doivent le retrouver, ils partiront demain matin. »
Enchanté par cette issue inattendue, le mahārāja invita la devadāsī à le rejoindre au haras avec ses enfants, le lendemain, une heure après le lever du soleil.
Ces concessions réciproques rendirent la fin du dîner plus conviviale.
Après avoir remercié le mahārāja pour son hospitalité, et plus longuement la mahārājñī pour son chaleureux accueil, et son affection, Vasikari se retira avec ses enfants – dont elle ne souhaitait pas être séparée – dans la chambre que Dalaja avait mise à leur disposition.
Tous trois adoptèrent Padmāsana, ils étaient positionnés de façon à former un triangle dont chacun occupait un sommet, ils fermèrent les yeux et la voix de Vasikari s’éleva :

Vasikari fit glisser la onzième Rudrākṣa du mālā, et enchaîna des ॐ, alors que Gāyatrī, Anuṣṭup, Paṅkti, Uṣṇik, Bṛhatī, Triṣṭup et Jagatī menés par Aruṇa faisaient disparaître Sūrya51 derrière l’horizon..
Karuppu ṭirākaṉ et Sudaroli qui avaient perçu de la reconnaissance dans la voix de leur mère pendant qu’elle chantait pour révérer Sūrya – sentiment qui avait également imprégné chacune des syllabes du mahāmaṃtra qu’ils avaient récitées mentalement – l’étreignirent avec amour et tendresse, puis se couchèrent, tandis qu’elle commença à danser pour Śiva.
Bien qu’elle ait dansé la moitié de la nuit, Vasikari se leva au point du jour. Elle réveilla Karuppu ṭirākaṉ et Sudaroli, afin qu’ils fissent leurs ablutions, et tous trois se rendirent chez la mahārājñī qui avait manifesté le désir de les accompagner au haras. Ravie de les accueillir, Dalaja les invita à honorer Savitṛ – dont la course se terminait au levant –, avec Bhadra et elle. Tous s’installèrent selon Vajrāsana, puis scandèrent Gāyatrī mahāmaṃtra52, en chœur :
ॐ भूर् भुवः स्वः
तत् सवितुर् वरेण्यं
भर्गो देवस्य धीमहि
धियो यो नः प्रचोदयात्
Vasikari fit glisser la première Rudrākṣa53 et prit la suivante entre le pouce et l’index.
oṃ bhūr bhuvaḥ svaḥ
tat savitur vareṇyaṃ
bhargo devasya dhīmahi
dhiyo yo naḥ pracodayāt
Bhadra fit glisser la quatrième graine de Bodhi54 et prit la suivante entre le pouce et l’index.
Om Bhur Buvaha Suvah
Thath Savithur Varenyam
Bhargo Devasya Dheemahi
Dhiyo Yonaha Prachodayath
Dalaja fit glisser la septième perle de bois de Tulasī55 du japa mālā56 et se tut, imitée par ses hôtes, car à l’est Sūrya brillait.
Comme il restait près d’une heure avant leur rendez-vous avec le mahārāja, la mahārājñī fit servir nāśtā.
« mahārājñī, souhaitez-vous que je récite quelques ślokoṃ ? demanda Bhadra.
— Volontiers, Bhadra. Pourquoi ne pas nous conter la naissance d’Aruṇa ? Que nous avons pu admirer, il y a quelques instants. »
Tandis que Dalaja et ses invités se sustentèrent, Bhadra déclama :
« Śaunaka dit :
‹ Ô Sautī, raconte une fois de plus en détail cette légende du vertueux Āstīka, le poète inspiré, car nous avons de l’entendre le plus grand désir.
Ô aimable, tu parles doucement, avec un accent et une emphase appropriée à ton discours. Tu parles comme ton père.
Ton père était toujours prêt à nous plaire. Raconte-nous maintenant l’histoire telle que ton père l’avait racontée. ›
Sautī a dit :
‹ Ô toi qui es béni par la longévité, je vais raconter l’histoire d’Āstīka, telle que je l’ai entendue de mon père.
Ô Brāhmaṇa, à l’âge d’or, Prajāpati avait deux filles. Les sœurs étaient dotées d’une merveilleuse beauté. Nommées Kadrū et Vinatā, elles devinrent les épouses de Kaśyapa.
Joyeux, transporté au comble du plaisir, Kaśyapa, leur époux, égal à Prajāpati lui-même, accorda une grâce à ses deux femmes.
À la nouvelle que le patriarche a fait sortir de son énergie une grâce éminente, surnaturelle, ces nobles dames ressentent un plaisir au-dessus de la joie. Kadrū choisit d’avoir pour fils mille nāga, tous d’égale splendeur.
Et Vinatā voulut enfanter seulement deux fils supérieurs aux enfants de Kadrū pour la force, supérieurs également pour le courage, la splendeur et la beauté du corps.
À Kadrū, son seigneur a donné cette aubaine sur une multitude de descendants. Et à Vinatā, cette double progéniture infiniment désirée : “Qu’il en soit ainsi !” dit alors le vénérable Kaśyapa.
Vinatā était heureuse de posséder l’objet de son vœu dans les mêmes termes, qu’elle en avait exprimé la demande. Les deux femmes voyaient ainsi leurs désirs comblés : Vinatā, parce qu’elle avait conçu deux fils d’une vigueur sans égale.
Kadrū parce qu’elle était enceinte de mille fils d’égale splendeur. “Vous avez, dit le grand ascète, à veiller sur vos fruits avec une grande attention !“
Ses deux épouses étaient ravies chacune de son lot, et Kaśyapa de s’enfoncer dans la forêt. ›
Sautī continua :
‹ Ô le plus grand des brāhmaṇa, après une longue période, Kadrū enfanta dix centaines d’œufs, et Vinatā seulement deux.
Leurs suivantes joyeuses déposèrent ces œufs en des bassins, sous lesquels on tint durant cinq cents années le feu continuellement allumé.
Puis, cette moitié d’un millier d’années écoulé, les fils de Kadrū éclorent [sic] ; mais les deux jumeaux de Vinatā ne sortirent pas encore de leurs coquilles.
Alors, jalouse, impatiente de se voir aussi des enfants, l’auguste pénitente Vinatā rompit un œuf et vit l’un de ses fils.
La moitié supérieure du corps était formée déjà, mais toute l’autre moitié était encore à naître ; et, saisi de colère, dit la tradition, il maudit sa mère :
“Parce que je dois à ton impatiente curiosité, mère, un corps de cette manière inachevé, tu seras esclave, durant cinq cents années, de la femme, avec qui tu es en rivalité ?
Mais le fils, qui te reste à naître, t’affranchiras de cet esclavage. Si tu ne le fais pas, mère, cet enfant destiné à la gloire, informe ou difforme, comme moi, en cassant trop tôt son œuf.
Il te faut attendre au-delà de cinq cents autres années la naissance de ce fils avec constance et par le désir de lui faire obtenir une force incomparable.”
Cet enfant, qui maudit ainsi Vinatā, Brāhmaṇa, c’est Aruṇa, qui chemine sur la voûte des deux, où, tous les jours, on le voit s’avancer au temps de l’aurore.
Il est assis sur le char du Soleil, il exerce l’office de son cocher. Puis à l’expiration des cinq cents ans, faisant éclater l’autre œuf, sortit enfin lui-même Garuḍa, le dévorateur des nāga.
Ô tigre de la race de Bhṛgu, immédiatement après avoir vu la lumière, ce fils de Vinatā, ce monarque des oiseaux, affamé, s’élança dans les cieux, à la recherche de la nourriture qui lui avait été assignée par le Grand Ordonnateur de tous. ›
Ainsi se termine le quatrième adhyāya d’Āstīka upaparva, le seizième d’Ādi parva 57. »
« Merci d’avoir rassasié nos esprits. Vasikari, ses enfants et moi devons maintenant nous rendre au haras, pour y retrouver mon époux. Nourris ton corps, ensuite assure-toi que toutes mes consignes seront exécutées, puis vaque jusqu’à mon retour », dit la mahārājñī à Bhadra.
Lorsqu’ils arrivèrent au paddock, ils virent Vijaya accoudé sur la lisse, en grande discussion avec le kamāṃḍara du haras, lequel lui désignait successivement les chevaux que les palefreniers menaient à la longe dans un pré, clôt, attenant.
Voyant arriver Dalaja, Vasikari et ses enfants, le mahārāja s’excusa auprès de son interlocuteur et fit quelques pas pour les accueillir.
« Soyez les bienvenues », salua-t-il la devadāsī et les adolescents, après avoir déposé un baiser sur les lèvres de sa bien-aimée.
« Savez-vous monter ? s’enquit-il auprès de Sudaroli et Karuppu ṭirākaṉ.
— Oui, Savāīī. Śiva considère qu’ils doivent y être formés, ce sont de bons cavaliers, mais ils n’ont jamais monté d’aussi belles bêtes, intervint Vasikari.
— Nous élevons, essentiellement, des Māravāḍạī qui descendent d’étalons et de poulinières offerts à mes aïeux par nos voisins, les maîtres de Jodhapura, rājapūta Rāṭhauḍạ rājavaṃśa. Nous produisons, également, des Kāṭhiyāvāḍạī issus de ceux que nous avons reçus en tribut de rājapūta Cuḍāsamā rājavaṃśa qui règne sur le Kāṭhiyāvāḍạ depuis Jūnāgaḍhạ58. Permettez, devadāsī, que j’offre une monture à chacun de vos enfants », Vijaya s’adressait à elle, reconnaissant ainsi son autorité sur les adolescents.
Quand Vasikari se tourna vers eux, elle lut dans leurs yeux une telle envie, un tel espoir, mais aussi l’acceptation de sa décision, quelle qu’elle soit. Son cœur de mère l’incita à consentir à la proposition du mahārāja.
« J’ai fait sélectionner des pur-sang de trois et quatre ans, aptes à parcourir de longues distances et dressés pour le combat. Ils n’ont pas de cavaliers attitrés », précisa celui-ci. Puis d’un geste, il lança la présentation des chevaux.
Des palefreniers menaient, un par un, les animaux dans le paddock, le kamāṃḍara donnait la généalogie des bêtes, informait Karuppu ṭirākaṉ et Sudaroli des qualités et particularités de chacune.
Un tintamarre retentit du côté des écuries, tous se tournèrent dans cette direction. Ils virent en sortir Vari qui tenait son cheval par les rênes, il était suivi par deux attelages – conduits par des vaiśyoṃ59 de la maisonnée de la mahārājñī –, une jument était attachée à l’arrière de l’un d’eux.
Mais ni les hennissements ni les bruits de coups violents ne venaient de ce groupe.
« Mais qu’est-ce que c’est que ce charivari ? s’exclama le mahārāja.
— C’est Gaḍạgaḍạāhaṭa qui est en train de détruire sa stalle, Savāīī, expliqua Vari qui arrivait. kamāṃḍara, les palefreniers ne parviennent pas à le calmer.
— Il a vu tous les autres chevaux de son écurie aller au pré, il ne comprend pas pourquoi il reste enfermé, excusez-moi Savāīī, mais je dois m’en occuper, avant qu’il n’arrive un accident », déclara ce dernier en partant.
Après avoir quêté du regard l’autorisation de sa mère et l’avoir obtenue, Karuppu ṭirākaṉ s’adressa à Vijaya :
« Puis-je vous demander, Savāīī, pourquoi ce Gaḍạgaḍạāhaṭa est resté seul ?
— Comment t’expliquer, mon enfant ? D’abord, sache que les chevaux de trois et quatre ans qui n’ont pas encore été affectés à un savāra, sont rassemblés dans le même bâtiment, ils ont été mis au pré pour que ta sœur et toi puissiez en choisir chacun un. Ensuite c’est un peu plus compliqué, je ne sais par quel bout commencer. Tu es un intelligent, tu as remarqué combien ma chère Dalaja craint que je ne vous veuille du mal. Gaḍạgaḍạāhaṭa est un entier très fougueux, mais surtout, sans vouloir t’offenser, il est noir ! Or un Māravāḍạī noir porte malheur ! Je ne veux pas que ta dādī pense que je souhaite attirer l’adversité sur vous. »
Dalaja leva les yeux au ciel.
« Il n’y a pas d’offense, Savāīī, mais puis-je le voir ? Am’mā, je crois qu’il ressent notre identité de couleur, qu’il m’appelle. »
Celle-ci dévisagea son fils, ne sachant que répondre.
Le mahārāja resta coi.
Sudaroli sourit à son frère.
« Vari, va dire au kamāṃḍara de nous l’amener ! » ordonna la mahārājñī.
Vijaya confirma d’un hochement.
Vari enfourcha sa monture et partit au petit trot vers l’écurie.
Il revint à la même allure, à son côté Gaḍạgaḍạāhaṭa tirait sur sa longe, le kamāṃḍara, qui suivait à pied, les surveillait l’air inquiet.
« Lâchez-le, cria Karuppu ṭirākaṉ.
— Ṭirākaṉ ! s’exclama Vasikari.
— Fais ce qu’il dit, ordonna Vijaya simultanément.
— Ne fai… » le kamāṃḍara s’interrompit, quand Vari lâcha la longe.
Le mâle se rua sur eux en cinq foulées, il s’arrêta devant Karuppu ṭirākaṉ, puis le poussa doucement du bout du nez. Lequel lui flatta l’encolure et déclara :
« Je choisis Gaḍạgaḍạāhaṭa, Savāīī, en vérité c’est lui qui m’a choisi ! »
Le kamāṃḍara ne fut pas le moins surpris.
Le mahārāja sidéré mit quelques secondes avant de répondre :
« Un animal qui porte malheur ne peut être un présent. Non, ne proteste pas, Gaḍạgaḍạāhaṭa partira avec toi, mais tu ne peux refuser que je récompense ta bravoure, tu dois en choisir un deuxième. kamāṃḍara reprend la présentation. »
La première à arrêter son choix fut Sudaroli, séduite par une resplendissante Māravāḍạī palomino du nom de Vijayinī. À l’énoncé du nom de son père, la mahārājñī tint à préciser :
« Mahābala est également le géniteur de Caitālī, la jument de ton pitā. »
Karuppu ṭirākaṉ choisit pareillement une jument, mais une magnifique Kāṭhiyāvāḍạī, isabelle pie tobiano, avec crinière et queue noires, nommée Rādhikā.
Dalaja fit ses adieux à ses hôtes, elle tenta de retenir Vasikari, mais celle-ci avait hâte de rentrer au Tañcaip peruvuṭaiyār kōyil60 danser pour Śiva-Rudra 61. Bien sûr, il avait des centaines d’autres devadāsiyāṃ qui dansaient pour lui dans ce kōyil, mais elle argua qu’elle était la seule à qui il parlait – comme il avait parlé à Rājarāja Cōḻaṉ62 la veille de l’inauguration du kōyil pour lui dire « Mon roi, je suis heureux de trouver refuge dans le Periya kōyil grâce à la vieille dame Alagui. » –, laissant la mahārājñī sans recours.
Elle informa Vasikari qu’elle mettait à son service un attelage chargé de provisions et de matériel de bivouac, deux de ses gens ainsi qu’une allocation suffisante pour subvenir à leurs besoins et à ceux des animaux de trait, y compris pour le retour des vaiśyoṃ à Jaipur ; qu’il était inutile de discuter, que sa décision était irrévocable. Elle avait pris des dispositions identiques en faveur de ses pōtā-pōtī, qu’elle ferait, de plus, escorter par Vari, lequel pourra prolonger sa mission aussi longtemps qu’il le jugera nécessaire.
Après force embrassades, après avoir baisé le front de ses enfants et les mains de la mahārājñī, respectueusement salué le mahārāja, remercié le savāra de veiller sur les adolescents, Vasikari prit la route sud vers Sāṁcī puis Thanjavur. Suivie de peu par Sudaroli, Karuppu ṭirākaṉ et Vari qui, après avoir présenté leurs respects à Dalaja et Vijaya, empruntèrent la route de l'ouest vers Āgrā et Banārasa.
Laissant le kamāṃḍara à ses occupations, le śāhī yugala regagna le palais, bras dessus, bras dessous.
« Finalement, je les aime bien ces jeunes gens, concéda Vijaya.
— J’espère qu’ils nous ramèneront Candra, avoua sa bien-aimée.
— Ils réussiront ! À leur retour, te plairait-il que nous organisions un anuloma vivāha63 ? Si Candra est d’accord, bien sûr, demanda le mahārāja.
— Mais Vasikari porte un thâli à l’effigie de Śiva ! répliqua Dalaja.
— C’est pas ça qui lui tiendra chaud dans son lit ! » conclut son bien-aimé.
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    ou 
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Notes :
Commentaires sur la translittération des mots sanskrits et hindis de l'écriture devanāgarī en caractères latins.
Contrairement à Google, qui translittère l’hindi sur la base de la phonétique anglaise, j’ai choisi la translittération IAST (International alphabet of Sanskrit transliteration), car ma prononciation anglaise est plus que déplorable et j’adore les signes diacritiques.
J’attire votre attention sur le fait que le a sans macron (a postérieur [ɐ], qui se prononce comme ceux de : là-bas, pâte, cipaille), est muet [si, si c’est vrai ☺] lorsqu’il est en fin de mot, ce qui est extrêmement courant, comme notre e muet.
Lorsqu’un mot est composé de deux, comme rājavaidya (cf. 38) le a de rāja et celui à la fin de vaidya sont muets tous les deux.
1) Bhadra भद्र récite ici les ślokoṃ de la section CXLII d’Adi Parva (la dernière), qui commence au śloka 5543 et se termine au 5634. Bhadra a été interrompue par le gong, au milieu du 5591e. La situation amenant Kanika à conter la fable au rājā Dhṛtarāṣṭra m’a semblé suffisamment bien exposée dans les sept premiers ślokoṃ, par conséquent, j’ai remplacé par des points de suspension les ślokoṃ 5551 à 5565.
2) Savāra सवार ➢ Littéralement cavalier. Officier subalterne de cavalerie. Anglicisé "sowar".
3) Añjali Mudrā अञ्जलि मुद्रा ➢ le sceau de salutation. Mains pressées fermement l’une contre l’autre, le bout des doigts pointant vers le haut (au chakra de la couronne pour saluer les dieux, au chakra du cœur pour saluer une ou des personnes).
4) Praṇam प्रनम् ➢ je m’incline respectueusement devant toi. De Praṇāma प्रणाम ➢ se prosterner pour saluer avec respect (souvent pour saluer les aînés).
 Dādī दादी ➢ Grand-mère paternelle. Nānī नानी ➢ Grand-mère maternelle.
 Karuppu ṭirākaṉ கருப்பு டிராகன் (tamoul) ➢ Dragon noir (Karuppu கருப்பு ➢ Noir. Ṭirākaṉ டிராகன் ➢ Dragon).
 Sudaroli சுடரொளி (tamoul) ➢ Lumière Brillante, de façon plus triviale : flamme.
5) Thâli தாலி (tamoul) ➢ bijou de mariage, porté autour du cou ; l’équivalent de l’alliance.
6) Silambam சிலம்பம் (tamoul) ➢ art martial tamoul qui se pratiquait déjà IVe siècle av. J.-C.
Nisha, une jeune Tamoule a fait le buzz sur cet été en exécutant une démonstration vêtue de sa robe de mariée : voir la vidéo.
7) Kaḷaripayat കളരിപയത് (malayalam) ➢ art martial malayalee.
Plus ancien art martial connu, ses techniques de base furent inscrites sur des feuilles de palmes datant du IIe siècle av. J.-C.. Est considéré comme la mère de toutes les formes d’arts martiaux. Il comporte quatre disciplines enseignées successivement.
  1ere Meythari ➢ le travail du corps : exercices de préparation du corps aux mouvements dynamiques.
  2e Kolthari ➢ le combat aux bâtons.
  3e Ankathari ➢ la lutte avec les bras métalliques.
8) 4e Verumkai ➢ se battre à mains nues.
François Gautier y a consacré un article passionnant sur son site.

Silambam et Kaḷaripayat – arts martiaux dravidiens, ouverts depuis toujours aux femmes comme aux hommes – ont de nombreux points communs.

9) Gurukkaḷ ഗുരുക്കൾ (malayalam) ➢ Gourous, maîtres Kaḷaripayat. Aussi appelés par leurs élèves : Asaṁ അസം ➢ maître.
10) Candra चन्द्र ➢ dieu personnifiant la Lune (dont le genre est masculin dans l’hindouisme), il est le réceptacle de l’ambroisie. Né du barattage de la mer de lait, mais aussi des larmes d’Atri comme fils d’Anasūyā, il est dit doublement né.
Ses amours furent tumultueuses :
Candra et Tārā तारा – l’épouse de Bṛhaspati बृहस्पति – étaient amoureux, ils s’enfuirent.
Après de multiples missions de paix infructueuses et menaces, Bṛhaspati déclara la guerre à Candra.
Bṛhaspati , qui était leur précepteur, rallia les devatāoṃ11. Son rival Śukra et les asuroṃ12 – dont il était le précepteur – se joignirent à Candra.
La guerre entre devatāoṃ et asuroṃ, qui porte le nom de Tārakāmayayuddha, prit fin lorsque Candra fut coupé en deux par le trident de Śiva, et dut rendre Tārā – enceinte de ses œuvres – à Bṛhaspati.
C’est depuis cet événement que Śiva conserve un croissant de lune sur son chignon.

Candra épousa 27 filles de Dakṣa दक्ष – les maisons lunaires.

Comme il en délaissait 26 au profit de la seule Rohiṇī रोहिणी, elles se plaignirent à leur père qui maudit Candra et le condamna au dépérissement (décroissance de la lune).
Ses épouses intercédèrent auprès de leur père pour lui rendre une taille normale. Incorrigible, il continua à considérer Rohiṇī comme le seul amour de sa vie, ce qui entraîna une nouvelle punition de la part de son beau-père.
Sur le point de disparaître complètement, Candra implora Śiva d’intervenir en sa faveur – en promettant à nouveau de s’occuper de toutes ses épouses –, lequel commua la sentence en dépérissement périodique.

La chronologie de ces deux épisodes est mal établie.

11) Devatāoṃ देवताओं ➢ Divinités aussi dénommées sura ➢ êtres de lumière. Singulier : Deva देव ➢ Dieu.
12) Asuroṃ असुरों ➢ êtres surnaturels, les souffles de vie. Les uns, les radieux, sont les alliés des devatāoṃ, les autres en sont les ennemis. Singulier Asura असुर. Les qualifiés de démons, constitue une simplification, voire une interpretatio christiana.
13) Dādī दादी ➢ Grand-mère paternelle.
14) Am’mā அம்மா (tamoul) ➢ Mère, maman.
15) Bilva बिल्व ➢ Fruit de l’aegle marmelos. En Inde, cet arbre sacré est d’origine divine :
Chaque jour, लक्ष्मी Lakṣmī – déesse de la fortune, de la richesse et de l’abondance – cueillait mille fleurs qu’elle déposait le soir en offrande sur l’autel de Śiva. Or un jour, elle ne put en réunir que 9 998. Se souvenant que Viṣṇu, son époux, avait comparé sa poitrine à des fleurs de lotus ; elle décida de remplacer les deux manquantes par ses seins ! Lorsqu’elle plaça le premier parmi les fleurs, Śiva – ému par le sacrifice – apparut et la dissuada de trancher le second. Il transforma alors le sein coupé en fruit de bilva, ensuite il l’envoya sur terre. Depuis, l’arbre fleurit chaque année près des temples avant de laisser apparaître son fruit qui mettra un an à atteindre sa maturité.
  Siṅghāṛā सिंघाड़ा ➢ Châtaigne d’eau.
  Kakaṛī ककड़ी ➢ Cucumis melo variété flexuosus : Concombre arménien.
  Chuhārā छुहारा ➢ Dattes séchées.
  Akharōṭa अखरोट ➢ Noix.
  Anāra kā rasa अनार का रस ➢ Jus de grenade.
Śrīkhaṇḍa श्रीखंड ➢ Fromage blanc aux fruits nappé de miel et parfumé au safran.
Le Mahābhārata relate que pour se cacher, Bhīma cuisinait sous la fausse identité de Ballava à la cour du rājā Virāṭa. C’est lui qui inventa cette recette et la prépara pour la première fois. En raison de la consommation de cette nourriture, le Seigneur Kṛṣṇa s’est endormi. Cela a perturbé les activités quotidiennes de Śrī Kṛṣṇa. C’est pourquoi ce mets est connu sous le nom de śrīkhaṇḍa.
  Mālapuā मालपुआ ➢ crêpes sucrées.
16) Savāī सवाई ➢ Terme d’adresse. Titre donné au mahārāja de Jaipur, lorsque l’on s’adresse à lui.
Dans ton monde, ce titre fut attribué au mahārāja Jai Singh II – fondateur de la ville de Jaipur – puis transmit aux Mahārājāoṃ qui lui ont succédé.
Après la mort prématurée de son père, Jai Singh II monta sur le trône d’Amer à l’âge de 11 ans. Malgré son jeune âge, il fut chargé de porter le tribut de son royaume au Grand Moghol Aurangzeb. Soudainement, celui-ci attrapa les deux mains du garçon et lui demanda : « Maintenant (sous-entendu, que tes mains sont immobilisées), pratyutpannamati 17, dis-moi, que vas-tu faire ? » Immédiatement, Jai Singh dit d’une voix très calme avec un sourire sur ses lèvres : « Ālamapanāha 18 ! Nous, les hindous 19, avons une tradition matrimoniale : pendant la cérémonie, le marié prend une main de la mariée dans la sienne et lui promet qu’il prendra soin d’elle toute sa vie ! Aujourd’hui, ce n’est pas l’une de mes mains, mais les deux que l’empereur lui-même a prises dans la sienne, alors de quoi me soucierais-je ! » Aurangzeb, surpris, s’écria : « Tu es savāyā 20 (un quart de fois plus) intelligent et courageux que tous ! » Il lui conféra le titre héréditaire de Savāī [anglicisé en Sawai] et lui promit son soutien à vie.
17) Pratyutpannamati प्रत्युत्पन्नमति ➢ littéralement : intellectuellement vif. Dans le contexte narquois de l’exclamation d’Aurangzeb, on peut traduire par : petit génie.
18) Ālamapanāha आलमपनाह ➢ Terme d’adresse. Titre donné aux empereurs moghols lorsque l’on s’adressait à eux.
19) Les Moghols sont musulmans.
20) Savāyā सवाया ➢ Littéralement : une fois et quart.
21) caturaṅga चतुरङ्ग ➢ quadripartite : éléphants, cavaliers, chars et fantassins. Jeu de stratégie considéré comme l’un des ancêtres du jeu d’échecs.
22) Dhṛtarāṣṭra vilāpa धृतराष्ट्र विलाप ➢ Les lamentations de Dhṛtarāṣṭra. Il pleure la mort des mille fils qu’il eut de Gāndhārī, car malgré les conseils avisés de Kanika, tous périrent lors de la bataille contre les Pāndavas.
23) Salavāra kamīza सलवार कमीज़ ➢ costume composé d’une longue tunique portée par-dessus un sarouel, utilisé autant par les femmes que les hommes.
  Salavāra सलवार ➢ sarouel.
  Kamīza कमीज़ ➢ longue tunique portée dans le sous-continent indien.
24) Jūtī जूती ➢ chaussures en cuir souple des Rajputs.
  cūṛīdāra-pājāmā चूड़ीदार-पाजामा ➢ pantalons bien ajustés portés par les hommes et les femmes (churidar).
  am̐garakhā अंगरखा ➢ tunique.
  pagaṛī पगड़ी ➢ turban.
  Sarapeca सरपेच ➢ aigrette, ornement de turban (Sarpech).
25) Pōtā-pōtī पोता-पोती ➢ petits-enfants (construction des éléments) :
  pōtā पोता ➢ fils du fils (singulier), pote पोते ➢ fils du fils (pluriel).
  pōtī पोती ➢ fille du fils, potiyāṁ पोतियाँ ➢ filles du fils.
  nātī नाती ou navāsā नवासा ➢ fils de la fille (singulier), nātiyāṁ नातियाँ ➢ fils de la fille (pluriel).
  nātina नातिन ou navāsī नवासी ➢ fille de la fille, nātinayāṁ नातिनयाँ ➢ filles de la fille.
26) Rājapūta राजपूत, (rājapūtoṃ राजपूतों au pluriel) ➢ Rajputs (fils de rois), membres des clans de guerriers qui dominèrent le nord de l’Inde entre le Xe et le XIIe siècle. Ils descendent probablement d’un mélange de population de souche aryenne et d’envahisseurs Huns, ils créent de nouveaux états indépendants à la chute de l’empire Gupta (VIe siècle), formant le Rājapūtānā राजपुताना.
Le Rajasthan est né de l’intégration de ces États en 1947. Lors de la réorganisation territoriale et linguistique des États de l’Union de 1956, les territoires de certains ex-États rajputs ont été soustraits du Rajasthan et rattachés à des États voisins.
27) Kuccikaḷ குச்சிகள் ➢ bâtons. Kucci குச்சி (tamoul) ➢ bâton.
28) Chihal’ta hazar māshā चिहल्ता हजार माशा ➢ manteau aux dix mille clous. Armure rājasthānīe de type brigandine.
29) Ḍhāla ढाल ➢ bouclier rondache des rajputs.
30) Talavāra तलवार ➢ talwar. Sabre rajput, modérément incurvé dont à l’approche de la pointe la courbe s’accentue et la lame s’élargit, afin d’augmenter l’élan de la partie distale de la lame lorsqu’elle est utilisée pour couper. Un coup porté par un guerrier expérimenté pouvait amputer un membre ou décapiter une personne.
31) Une ligne est la partie de la cible par rapport à la position de l’arme du tireur (droitier) :
  • Ligne du dessus : Ligne haute droite du tireur (gauche de la cible).
  • Ligne du dedans : Ligne haute gauche du tireur (droite de la cible).
  • Ligne du dehors : Ligne basse droite du tireur (gauche de la cible).
  • Ligne du dessous : Ligne basse gauche du tireur (droite de la cible).
  Représentation graphique.
  Coup de banderole ➢ coup de tranchant porté transversalement sur la poitrine adverse.
32) Marma मर्म ➢ point vital. Aussi nommé marma-sthala मर्म-स्थल ➢ point vulnérable.
  Marmoṃ मर्मों ➢ points vitaux, tels que définis :
  • selon les anciens arts martiaux indiens dans le Dhanurveda धनुर्वेद ➢ “science de la guerre”.
  • selon la médecine traditionnelle dans l’Āyurveda आयुर्वेद ➢ “science de la vie”.
Sthapanī marma स्थपनी मर्म ➢ point situé au centre du front, entre les sourcils. Il coïncide avec tilaka तिलक ➢ la marque de couleur – occasionnelle ou permanente – que portent les hindous sur le front ; on nomme d’ailleurs ce point : Tilaka varṇam திலக வர்ணம் en tamoul et tilakavarṇaṁ തിലകവർണം en malayalam. Il s’apparente à Ājñā-cakra आज्ञा-चक्र ➢ le troisième œil (sixième chakra).
34) adhipati marma अधिपति मर्म ➢ point situé sous la suture sagittale.
C’est une confluence vitale de veines, et il correspond aux centres vitaux de la moelle (cardiaque, respiratoire et vasomoteur). Situé profondément à l’intérieur du crâne, il est aligné avec le centre de la spirale de la racine des cheveux, c’est-à-dire la couronne de la tête. Il s’apparente à Sahasrāra-cakra सहस्रार-चक्र ➢ Chakra de la couronne (septième chakra). le lotus aux mille pétales d’or.
35) Jānu marma जानु मर्म ➢ point situé exactement à la jonction de la cuisse et de la jambe, c’est-à-dire à l’articulation du genou.
33) jī जी ➢ terme accolé au nom de quelqu’un pour montrer son respect. Respectable, noble, honorable.
36) Nāga नाग ➢ Naja naja, connu sous les noms usuels de cobra indien, cobra à lunettes ou serpent à lunettes. Du sanskrit nāga नाग ➢ Créatures divines ou semi-divines (serpent, hydre, dragon, génie-serpent à visage humain) de la mythologie hindoue.
La nevalā नेवला face au nāga नाग
Médecine ayurvédique :
    Vaidya वैद्य ➢ médecin.
37) Rājavaidya राजवैद्य ➢ médecin personnel d’un rājā.
38) Vaidyarāja वैद्यराज ➢ médecin très expérimenté.
39) Śalya cikitsā शल्य चिकित्सा ➢ chirurgie (l’une des branches de la médecine ayurvédique). De cikitsā चिकित्सा ➢ pratique de la médecine (thérapeutique) et śalya शल्य ➢ pointe de flèche ou de lance. Dont le premier traité Suśrutasaṃhitā सुश्रुतसंहिता aurait été écrit entre le ᴠɪɪɪe et le ᴠɪe siècle avant notre ère.
40) Cenamela śarṭa चेनमेल शर्ट ➢ chemise en cotte de mailles.
41) J’attire l’attention de ceux qui pratiquent ou s’intéressent aux arts martiaux, sur le participe passé filé ➢ kātā काता en hindi. Infinitif : kātanā कातना ➢ filer.
42) Haladī हलदी ➢ haladie, poignard à double tranchant composé de deux lames incurvées au minimum. C’est le cas ici.
Tīna bleḍa vālā halādī तीन ब्लेड वाला हलादी ➢ l’haladie à trois lames étant utilisé plus comme un symbole de statut que comme une arme de guerre, par les Rajputs.
43) Cakramoṃ चक्रमों ➢ chakrams. Cakrama चक्रम ➢ chakram. Arme de jet et de poing popularisé la princesse Xena héroïne de la série éponyme (1996-2001). D’origine indienne, cette arme s’inspire de celle de Viṣṇu, sudarśana cakra सुदर्शन चक्र ➢ disque flamboyant.
44) Uṟumikaḷ உறுமிகள் ➢ urumis. Uṟumi உறுமி (tamoul) ➢ urumi. Du Malayalam urumī ഉറുമി. Épée munie d’une ou plusieurs lames de métal flexible, fines, tranchantes et très longues. Elle est également appelée curuṭṭuvāḷ சுருட்டுவாள் ➢ épée à enrouler (textuellement : elle va se recroqueviller). La version sri-lankaise – etuṇu kaḍuva එතුණු කඩුව ➢ épée enveloppée (cingalais) – de cette arme avait jusqu’à 32 lames. Certains modèles ont des noms :
45) Ōrilaicuruḷ ஓரிலைசுருள் ➢ Licorne, épée à une seule lame.
    Iraṭṭaiccuruḷ இரட்டைச்சுருள் ➢ Double bobine, épée à deux lames.
    Mūvilaiccuruḷ மூவிலைச்சுருள் ➢ Rouleau triangulaire, épée à trois lames.
46) Aintilaic curuḷ ஐந்திலைச் சுருள் ➢ Cinquième boucle, épée à cinq lames.
47) Viśvakarmā विश्वकर्मा ➢ « Qui a tout fabriqué ». Deva, architecte de l’univers, artisan des devatāoṃ (forme d’Agni अग्नि ➢ le Feu). Sa fille Sañjñā संज्ञा ➢ Conscience (aussi connue sous le nom de Saraṇyū सरण्यु ➢ Véloce, après sa fuite) était marié avec Sūrya सूर्य, mais elle ne pouvait supporter l’ardeur de son mari. Après de nombreuses péripéties, son père rabota le huitième de l’éclat du Soleil pour qu’elle puisse le supporter. Avec les copeaux, il fabriqua le sudarśana cakra सुदर्शन चक्र de Viṣṇu, le trident triśūla त्रिशूल de Śiva et la lance śakti शक्ति de Skanda स्कन्द.
48) Ikāram இகாரம் (īṉā ஈனா dans le langage courant et lorsqu’on apprend aux enfants à écrire) ➢ nom de la lettre இ ➢ i tamoul.
49) Bāgha ke nākhūna बाघ के नाखून ➢ Ongles de tigre. Empoisonnés, ils étaient utilisés par les Rajputs. Les sikhs nihang cachaient cette arme, à l’intérieur de leur turban.
50) Dādā दादा ➢ Grand-père paternel. 51) L’astre solaire se nomme Sūrya सूर्य du lever au coucher et Savitṛ सवितृ du coucher au lever. Ils sont les deux faces du même deva (plus qu’une épithète), ou deux divinités différentes selon les textes.
Sūrya traverse le ciel sur un char tiré par sept chevaux, dont le cocher est Aruṇa अरुण demi-dieu personnifiant l’Aurore.
Une roue du char se nomme saṃvatsara संवत्सर (année) elle a douze zones, les mois.
Les chevaux représentent les sept jours de la semaine et les sept couleurs de l’arc-en-ciel.
Ils sont nommés d’après les sept principaux chaṃda छंद (mètres de prosodie sanskrite). L’orthographe usuelle des noms des chaṃda est parfois légèrement différente.
  • Gāyatrī गायत्री           3 fois 8 syllabes
  • Anuṣṭup अनुष्टुप् ➢ Anuṣṭubh अनुष्टुभ् ⃰ 4 fois 8 syllabes
  • Paṅkti पङ्क्ति            5 fois 8 syllabes
  • Uṣṇik उष्णिक् ➢ Uṣṇih उष्णिह्     2 fois 8 et 1 fois 12 syllabes
  • Bṛhatī बृहती            2 fois 8, 1 fois 12 puis 1 fois 8 syllabes
  • Triṣṭup त्रिष्टुप् ➢ Triṣṭubh त्रिष्टुभ्   4 fois 11 syllabes
  • Jagatī जगती             4 fois 12 syllabes
 C’est la mesure du śloka, le vers épique par excellence.
52) Gāyatrī mahāmaṃtra गायत्री महामंत्र est une combinaison du maṃtra मन्त्र “oṃ bhūr bhuvaḥ svaḥ” du Yajurveda यजुर्वेद et de Gāyatrī maṃtra गायत्री मन्त्र verset 3.62.10 de Ṛgveda ऋग्वेद.
Dans 99 % des cas, la dénomination « Gayatri mantra » désigne le Gāyatrī mahāmaṃtra.
53) Rudrākṣa रुद्राक्ष ➢ graine d’Elaeocarpus angustifolius, cerisier bleu. Perles de mālā favorites des śaiva शैव ➢ ceux qui considèrent Śiva comme divinité d’élection.
54) Bodhi बोधि ➢ figuier des pagodes, ou Pipal, ficus religiosa. Arbre géant de l’espèce banian. C’est sous l’un de ces arbres que Siddhartha a atteint le Sambodhi (la connaissance) et devint un bouddha, l’arbre Pipal a été appelé arbre Bodhi. Leurs graines sont les Perles de mālā favorites des bouddhistes.
55) Tulasī तुलसी ➢ Tulsi, variété de basilic. Les perles de mālā faites de son bois sont les favorites des vaiṣṇava loga वैष्णव लोग ➢ les vishnouites (ceux qui vénèrent le Seigneur Viṣṇu).
56) Japa mālā जप माला ➢ Rosaire, textuellement "collier pour répéter des prières". Souvent abrégé en mālā माला ➢ collier, chapelet. Les plus longs – 108 perles – sont un signe de piété, car ils permettent de japa un Maṃtra 108 fois consécutives.
57) le 4e adhyāya अध्याय ➢ chapitre d’Āstīka upaparva उपपर्व (ou upa-parva उप-पर्व) ➢ la partie d’Āstīka (textuellement : sous livre, ou sous tome), le seizième d’Ādi parva (ādi आदि début premier initial, parva पर्व livre tome).
• Śaunaka शौनक ➢ célèbre grammairien sanskrit à qui Sautī conta l’épopée du Mahābhārata, lors d’un conclave de sages dirigé dans la forêt nommée Naimiṣāraṇya नैमिषारण्य.
• Sautī सौती Ugrashrava उग्रश्रवस् ➢ surnommé Sautī, était un spécialiste des Purānas. Il est le narrateur du Mahābhārata. Lequel – comme “les mille et une nuits” – est un récit-cadre qui contient entre autres :
  la narration par le sage Vaishampāyana de l’histoire des rois Bhārata भारत, au roi Kuru कुरु Janamejaya जनमेजय ;
  lequel contient à son tour la narration par Saṃjaya संजय de la guerre de Kurukṣetra कुरुक्षेत्र, au roi Kuru Dhṛtarāṣṭra धृतराष्ट्र.
• Āstīka आस्तीक ➢ “le Pieux”. Ṛṣi ऋषि ➢ sage, fils de Jaratkāru et de Manasā ; jeune il interrompit le sacrifice de serpents de Janamejaya, mettant fin à la malédiction de Kadrū, et ainsi sauva Takṣaka.
• Brāhmaṇa ब्राह्मण ➢ brahmane, personne de la première classe védique.
• Prajāpati प्रजापति ➢ épithète de la moitié mâle de Brahmā, il créa l’Univers en proférant “bhūr bhuvar svaḥ”.
• Kadrū कद्रू.
• Vinatā विनता.
• Kaśyapa कश्यप ➢ premier des sept patriarches védiques issus de l’esprit de Brahmā pour enfanter le monde, c’est un géniteur universel prolifique. Il est père :
  o Des devatāoṃ देवताओं➢ “dieux” et de Vāmana वामन ➢ «le Nain» (5e avatar de Viṣṇu), par son épouse Aditi अदिति.
  o Des daitya दैत्य ➢ “démons”, littéralement fils de Diti दिति [leur mère], variété d’asuroṃ असुर néfastes.
  o Des dānava दानव ➢ ondins, variété d’asuroṃ aquatique. Littéralement fils de Danu दनु [leur mère].
  o D’Aruṇa अरुण et de Garuḍa गरुड, par son épouse Vinatā विनता.
  o Des nāga नाग ➢ dragons et/ou serpents, par son épouse Kadrū कद्रू.
  o Des vents et de Rohiṇī रोहिणी, par son épouse Surabhī सुरभी.
  o Des gandharvā गन्धर्वा ➢ génies centaures, et yakṣa यक्ष ➢ gnomes, troll, par son épouse Munī मुनई.
  o Des animaux sauvages, par son épouse Krodhā क्रोधा.
• Aruṇa अरुण cf. 51.
• Garuḍa गरुड ➢ “Soleil qui dévore”, aigle mythique.
• bhṛgu भृगु ➢ géniteur né de la poitrine de Brahmā, patron des astrologues, souvent critique envers la Trimūrti.
58) Māravāḍạī मारवाड़ी ➢ Marwari.
  Rājapūta rāṭhauḍạ rājavaṃśa राजपूत राठौड़ राजवंश ➢ la dynastie rajput Rathore.
  Jodhapura जोधपुर ➢ Jodhpur, capitale du Māravāḍạ मारवाड़ ➢ Marwar.
  Kāṭhiyāvāḍạī काठियावाड़ी ➢ Kathiawari, du gujarati Kāṭhīyāvāḍī કાઠીયાવાડી.
  Rājapūta cuḍāsamā rājavaṃśa राजपूत चुडासमा राजवंश ➢ la dynastie rajput Chudasama.
  Jūnāgaḍhạ जूनागढ़ ➢ Junagadh capitale du Kāṭhiyāvāḍạ काठियावाड़ ➢ Kâthiâwar.
59) Vaiśyoṃ वैश्यों, singulier vaiśya वैश्य ➢ Vaishya, caste des artisans, commerçants, hommes d'affaires, agriculteurs et bergers. Classe de laquelle sont issus les serviteurs chargés des tâches nobles.
60) Tañcaip peruvuṭaiyār kōyil தஞ்சைப் பெருவுடையார் கோயில்le temple de Brihadesvara.
    Tañcaip தஞ்சைப் ➢ Tanjore, Thanjavur (tamoul).
    peruvuṭaiyār பெருவுடையார் ➢ Le Seigneur qui possède tout, épithète de Śiva (tamoul).
    kōyil கோயில் ➢ temple (tamoul).
  Periya kōyil பெரிய கோயில் ➢ grand temple (tamoul).
61) Rudra रुद्र ➢ “Tourmenteur” (qui fait pleurer), ou “Furieux”. Prototype védique de Śiva. C'est à Śiva-Rudra qu'est consacré le Tañcaip peruvuṭaiyār kōyil.
62) Rājarāja Cōḻaṉ ராஜராஜ சோழன் ➢ Rajaraja Chola, bâtisseur du temple de Brihadesvara (tamoul).
  Vous trouverez la relation de l’anecdote, évoquée par Vasikari ici.
63) Anuloma vivāha अनुलोम विवाह ➢ textuellement “mariage de haut en bas”. Union hypergame entre un homme de haute naissance et une femme d’un rang de naissance inférieur au sien. Pratique – autorisée par le Manusmṛiti (la loi de manu) – assez courante à l’époque rajput.
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