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20 février 2023

Explication de texte

 
भेड़िया

Oui ! je sais, tu te poses la même question.
’ai de nombreuses choses à t’expliquer.
Pour commencer, cette fois ce n’est pas ton interprétation qui est responsable de ce vocabulaire. Il se trouve qu’avant de venir dans ta tête, j’étais dans celle d’un grand réalisateur, nous y débattions d’une mésaventure qui lui est arrivée. Sur ce, je débarque dans la tienne, et l’analogie fut telle que j’ai employé ses mots.
Bon, je te raconte. Donc, ce réalisateur… non, n’insiste pas, je ne te donnerai pas son nom ! Imagine que j’aille révéler à tous ceux dans le cerveau desquels j’ai une tanière, tous les petits secrets que j’ai découverts dans le tien. Oui, celui-là aussi. Honteux ? je ne sais pas si on peut dire ça, intime, oui ! très intime même, coquin, cochon. Appelle ça comme tu veux, mais tu n’aimerais pas que je le divulgue, en tout cas pas à tout le monde. C’est pareil pour lui.
Revenons à nos moutons (y penser me met l’eau à la bouche. Tu ne peux pas comprendre, tu n’as jamais senti tes crocs déchirer la peau et les muscles, le sang, chaud, jaillir dans ta gueule alors que la chair palpite encore de vie). Cet habitué du box-office avait un gros projet qu’il ne pouvait réaliser en indépendant, par conséquent, il s’adressa à un grand studio qui mit à sa disposition tout ce dont il avait besoin. Un jour, il arrive impromptu sur le lieu de tournage de la deuxième équipe, et là, il les surprend filmant une scène qui n’était pas dans son script. Alors, il a hurlé :
« COUPEZ !!!!!! C’est quoi ce bordel ? »
Tu vois poindre la similitude ?
Comme tu as dû le remarquer, je travaille également à l’élaboration d’une œuvre, mais la mienne n’est pas de la fiction, c’est… comment dire ? Oui, c’est ça, j’ai trouvé le mot juste, c’est un genre d’œuvre philanthropique. J’œuvre pour le bénéfice spirituel de tout ce qui vit et vivra dans cette réalité.
Grandiloquent ? Non, grandiose, oui !
Comment ? Moi ? Non, je n’en tire aucun avantage ! Au contraire, je donne de moi. Attention, je ne prétends pas que ce fut un sacrifice, je ne suis pas comme l’autre goujat – je vais t’en parler tout à l’heure, tu comprendras –, ce fut un plaisir.
Pour cette grande œuvre… non, pas le Grand Œuvre ! Transformer le plomb en or n’a aucun intérêt pour moi. Pour combler l’absence dont souffre ce monde… (Oui, bien sûr, celui-ci. Mais si je dis : “mon monde”, tu vas encore penser que je suis mégalo) j’avais besoin d’un être doté de talents particuliers. Or je ne connaissais personne qui réponde aux critères désirés. C’est pourquoi je me suis adressé à un intermédiaire, un agent, si tu veux. C’est une créature pluridimensionnelle qui voyage d’un monde à l’autre. Il a trouvé, dans une réalité pas très éloignée de la tienne, un trio de ce que vous dénommez “dieux” qui avait celui que je recherchais dans leur entourage, ils ont accepté de me l’envoyer. Et pour ne rien te cacher, j’en suis ravi, il est agréable, de bonne compagnie, et même s’il n’est au courant de rien – il se demande encore comment et pourquoi il est arrivé ici –, il remplit parfaitement son rôle et met du cœur à l’ouvrage.
Ces créatures se font appeler : “la Trimūrti”, ils sont aux entités divines ce qu’est un grand studio hollywoodien à ton industrie cinématographique.
Comme tu peux le constater, la concordance des deux situations se précise !
J’en étais au moment où je sortais de ma tanière dans ton cerveau.
Il faut que tu saches que je n’ignore rien de toi, et entre autres, que quelqu’un d’autre te raconte ce qui se passe dans le royaume de Shay. Bon ! C’est un narrateur qui est loin d’avoir mon génie. Il t’a balancé les lettres d’Aubierge, comme ça, sans la moindre fioriture. Remarque, je sais pourquoi. C’est parce qu’il la prend pour une gourde qui s’est amourachée du premier séducteur qui l’a fait reluire, et en prime lui a collé un polichinelle dans le tiroir – c’est ce pisse-copie dépourvu de talent, le goujat.
On ne va pas se mentir, ça m’arrange plutôt, cela me permet de découvrir ce qu’il se passe dans des parties du monde où je ne suis pas. Ne crains rien, seuls ses mots s’introduisent dans ton cerveau. Rassure-toi, je veille personnellement à ce qu’aucun malfaisant ne se faufile dans ton ciboulot et tente de t’influencer.
Si, si !
Mais non pas l’impératrice. Cesse de m’interrompre à tout bout de champ, surtout si c’est pour lancer des vannes que personne, même moi, n’oserait raconter !
Comme j’essayais de le dire, avant que tu ne me coupes la parole :
J’arrive dans ta tête et je découvre qu’un nāga est apparu dans la clairière de Mélusine – laquelle est enclavée dans mon territoire. Que tous deux se soient livrés à l’activité favorite de Chandra, et que la faé ait pondu trois œufs. Ce n’était pas du tout prévu dans le deal, ça !
D’où mon : « COUPEZ !!!!!! C’est quoi ce bordel ? »
Réaction mimétique purement épidermique et totalement stérile. Je peux crier aussi fort que je peux dans ton crâne, le son n’en sortira pas. Même si mon injonction retentissait dans la sommière, la conception et la ponte appartiennent au passé. Et si le réalisateur pesant de toute sa notoriété a demandé que ladite scène ne soit pas montée ; moi, modeste descendant de Loki, si je réussissais à voyager dans le temps et empêcher la venue du nāga – ce qu’aujourd’hui, je ne sais pas faire –, je ne ferais que créer un point de divergence.
J’étais sûr que la perte de la briolette ne serait pas sans conséquence. Mais je n’avais pas imaginé que la rupture du lien avec la servante de Śiva provoquerait l’intrusion de l’un des fils de Vāsuki 1 et de Śataśīrṣā, et qu’il s’accouple avec la bansidh. Ce ne peut être que l’un d’eux, envoyé par Śiva, tellement Vāsuki et lui sont liés. Je me demande ce qui va bien pouvoir sortir de ces œufs. Remarque s’ils mettent aussi longtemps à éclore que ceux de Kadrū, cela ne devrait pas perturber mon projet.
Et qui sait, vu leur nombre, un esprit quelconque viendra peut-être les chercher pour les cacher dans un autre monde. Dans les contrées de l’ombre, au nord du détroit de Safran par exemple. Mais ce ne sont que des spéculations issues de reliquats de souvenirs trouvés dans ta mémoire et d’autres.

***
Note :
1) Vāsuki : fils du maharṣi Kaśyapa et de Kadrū. Il a été oint par les Nāgas comme leur rāja. Il a aussi été oint par les devatāoṃ comme nāgarāja, à Nāgadhanvātīrtha.
Lord Śiva a béni Vāsuki lui accordant la faveur d’orner son cou.
C’est Vāsuki qui servit de corde lors du barattage de l’océan de lait, les devatāoṃ le tenaient par une extrémité et les asuroṃ par l’autre.
Il a également agi comme corde de l’arc de Śiva et comme essieu de son char.
Note du pisse-copie de scifan :
En aucun cas, je ne me serais permis de qualifier quiconque ni Aubierge ni une autre des mots que me prête भेड़िया. Mots et expressions dont pour certains j’ai dû chercher le sens, tellement ils me sont étrangers.
Je m’abstiens de répondre à ses propos désobligeants à mon égard. Jalousie ?

***
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Dans la clairière d'en folie


Ce soir-là, à une lune de l’équinoxe d’automne, la brise rafraîchissait la clairière. Bas sur l’horizon le soleil teintait de rouge orangé le lac dans lequel Mélusine pénétrait nue. De scintillantes vaguelettes léchaient sa peau, y laissant des écailles émeraude et or. Elle avait de l'eau jusqu'à la taille lorsqu’elle perçut sa présence. Elle se retourna, regarda vers l’orée de la sente qui sinuait à travers les halliers, y vit un halo qui se résorbait.
Sortie de l’onde sous sa forme anguipède, elle le distingua, il était noir. Venue du plus profond de sa nature même, une impérieuse urgence lui fit rejeter la reptation. En un spasme métamorphique – en moins de temps qu’il ne faut pour le prononcer – des ailes naquirent dans son dos, aussitôt elles claquèrent dans le vent. Dragonne 1, elle s’envola vers lui.
Le couchant enflammait les squames, brillants comme de l’onyx, du nāga qui se dressait devant elle. Ils s’empoignèrent, s’enroulèrent l’un autour de l’autre.
La brise tomba, la faune s’immobilisa, les oiseaux se turent, on n’entendait que la stridulation des écailles les unes contre les autres. Sur le dos du nāga, les mains de Mélusine découvrirent deux excroissances sur lesquelles elles se refermèrent. Vestiges ou ébauches ?
Leurs lèvres se trouvèrent, s’accolèrent ; les bouches s’ouvrirent, crochets repliés dans leurs gaines ; les langues bifides se mêlèrent ; les queues entrelacées glissaient l’une contre l’autre, invitation à l’accouplement.
Après que deux hémipénis du nāga eurent pénétré la fente cloacale de Mélusine 2, seules leurs extrémités caudales ondulèrent.
La coïtation dura cinq heures, ponctuée régulièrement des cris perçants que poussait Mélusine lorsque les terminaisons nerveuses de ses hémiclitoris, stimulés par son partenaire, envoyaient de longs et puissants influx qui inondaient son cerveau faisant chavirer ses sens. Hurlements auxquels il répondait par des sifflements rauques, provoquant l’envolée de tous les volatiles des environs.
Sans qu’ils n’aient échangé un seul mot, alors que Mélusine regagnait la rive du lac, où elle creusa un trou dans le sable dans lequel elle pondit trois œufs, le nāga disparu dans un nouveau halo.
« COUPEZ !!!!!! C’est quoi ce bordel ? »

***
Notes :
1) Le personnage de Mélusine est inspiré de l’héroïne du "Roman de Mélusine" de Jean d'Arras. Si vous ne le connaissez pas, en voici le résumé qu’en a fait Mathilde Grodet :
« Voici cette histoire, résumée rapidement, telle qu’elle se déroule dans le roman de Jean d’Arras. La fée Présine épouse Elinas, le roi d’Écosse, à la condition qu’il ne vienne pas la voir lors de ses couches s’ils ont des enfants. Mais lorsqu’elle accouche de trois filles, Elinas, fou de joie, oublie l’interdit et accourt la voir. Elle disparaît alors avec ses enfants : Mélusine, Mélior et Palestine. Plus tard les trois filles décident de se venger de leur père et l’enferment dans une montagne. Lorsqu’elle l’apprend, Présine les maudit : Mélusine est condamnée à se changer en serpent tous les samedis. Toutefois si un homme l’épouse et accepte de ne pas la voir ces jours-là, elle deviendra une femme comme les autres. Mélusine rencontre Raymondin et l’épouse en lui faisant jurer de ne pas chercher à la voir le samedi. Le couple est heureux : la fée construit des villes et des châteaux et donne à Raymondin dix garçons dont huit sont affligés d’une tare physique rappelant leur origine merveilleuse. Ils deviendront des personnages importants, certains seront même rois. Un jour, suivant les mauvais conseils de son frère, Raymondin épie son épouse au bain le samedi et l’aperçoit mi-femme, mi-serpent. Il se repend [sic] aussitôt d’avoir trahi sa promesse et se tait. Mélusine feint de ne pas le savoir et leur vie continue comme avant. Mais lorsqu’un de leur fils, Geoffroy à la grande dent, met le feu à une abbaye et brûle tous les moines y compris son propre frère entré dans les ordres, Raymondin s’emporte et en public accuse Mélusine, « tresfaulse serpente » d’être à l’origine de ce malheur. Mélusine est alors contrainte de disparaître et s’envole sous la forme d’un dragon. Elle revient cependant la nuit s’occuper de ses deux derniers enfants en bas âge. Raymondin quant à lui se retire dans un couvent. » [sic]
Extrait de l’article de Mathilde Grodet Université Paris-Sorbonne (Paris IV) “Le secret de Mélusine dans les romans français et l’iconographie aux XIVe et XVe siècles” paru dans Questes, 16 | 2009 pages 64-83 index 2.
Pour les curieux, vous trouverez ci-dessous, la planche anatomique de Mélusine publiée dans "Créatures fantastiques Deyrolle" de Jean-Baptiste de Panafieu. ☺
2) Dans ton monde, les squamates (lézards, serpents et amphisbènes [étranges bestioles fouisseuses]) n’introduisent que l’un de leurs hémipénis dans le cloaque de la femelle. Pendant ce temps le second se recharge pour le prochain accouplement.

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