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08 septembre 2022

9 - Histoires d’Angles

Quand les missionnaires sont venus,
nous avions la terre et ils avaient la bible.
Ils nous ont appris à prier avec nos yeux fermés.
Quand nous les avons ouverts,
ils avaient nos terres, et nous avions leur bible.
Jomo Kenyatta

En l’an 812, l’empereur Beorhthere régnait sur la quasi-totalité du gebærdstán gehealdendgeorn, seuls les territoires déshérités du nord-est et du sud étaient indépendants. Indépendance qu’ils devaient au peu d’intérêt économique qu’ils présentaient (pas de matières premières localisées dans leurs sols, agricultures peinant à subvenir aux besoins de leurs populations, côtes peu poissonneuses).
Sous son autorité, l’empire, composé de treize royaumes, vivait en paix depuis douze ans. Il réglait avec sagesse tous les différends qui opposaient ses vassaux.
Eadwulf fut un leader précoce. Grand et fort, le fils de Ceolfrith – la bien aimée sœur puinée de l’empereur – excellait à toutes les armes. Les maîtres de tactique et de stratégie ne tarissaient pas d’éloges à son égard. Nombre de jeunes officiers – néanmoins ses aînés de dix ans et plus – rêvaient de combattre à ses côtés.
Il n’avait que seize ans lorsqu’il persuada son oncle de le mettre à la tête d’une armada de vingt-cinq navires, dans le but de sauver les âmes d’éventuels incroyants peuplant d’hypothétiques terres situées à l’ouest du continent.
Toutefois, les comptes rendus du cabinet conservés au Drumghyll cynebotl1, mentionnent que l’empereur et les membres du conseil convinrent que, même s'il était fort élevé, le prix à payer pour se débarrasser de l’impétueux et très ambitieux jeune guerrier n’était pas exorbitant. Le Commandeur des croyants saisit l’occasion pour adjoindre au prince un autre trublion, Brictric, le fanatique prêcheur des chevaliers de la foi, ainsi que tous ces derniers.
On peut également y lire qu’on avait envisagé que s'il ne trouvait pas les terres espérées, Eadwulf à son retour tente de s’approprier un territoire de l’empire. « Il faut tout envisager » était la devise de Beorhthere. En conséquence, on s’était assuré que seulement cinq galères soient armées de pièces d’artillerie, qu’aucun canon de campagne ne soit embarqué sur les bâtiments de ladite armada et que ni fondeur ni alchimiste ne participe à cette expédition.
Cinq lunes plus tard, trois des vaisseaux de cette escadre étaient de retour au port, porteurs d’un message triomphant d’Eadwulf. Celui-ci réclamait des volontaires civils des deux sexes pour peupler son territoire, ainsi que tout ce que l’on avait soigneusement évité de lui donner.
Après avoir entendu le rapport du commandant du navire amiral – lequel soulignait qu’il semblait que les indigènes ne connaissaient ni la poudre noire ni la cavalerie lourde –, l’empereur n’accéda qu’à la demande d’envoi de colons.
Répondirent à la proposition d’émigration : des familles de soldats déjà sur ces terres lointaines – dont les parents d’Eadwulf –, des pauvres à qui on fit miroiter l’octroi de terres, des aventuriers – nobliaux épris de gloire et détrousseurs amateurs de mises à sac –, des veuves avec ou sans enfants et des ribaudes sorties de geôles et des fanatiques religieux pressés de convertir des impies.
En lieu et place des armements, alchimistes et fondeurs demandés, Beorhthere envoya un vice-roi – représentant de l’empire, pour gouverner les territoires de ce Nouveau Monde conquis par les Angles – auprès de son neveu.
L’empereur ne fut pas surpris du retour du vice-roi, moins de six lunes plus tard. Mais il fut fort chagriné d’apprendre que sa tendre cadette, Ceolfrith, était morte en donnant le jour à une fille : Rimilda, née en mer avant d’atteindre le royaume de Shay.
Earpwald, éphémère vice-roi de Shannon, relata à l’empereur son entretien avec Eadwulf – après avoir exprimé sa satisfaction de pouvoir le faire, celui-ci ayant envisagé de ne renvoyer que sa tête à Drumghyll. Outré que son oncle – qui ne l’avait que médiocrement équipé – ne le désigne pas lui, le conquérant de Shannon, pour gouverner ses terres au nom de l’empire, il décréta qu’il les gouvernerait donc en qualité de despote. Il rompit toute relation avec l’empire et son dirigeant qu’il accusait d’avoir laissé sa mère mourir en mer.
Le conseil loua l’empereur pour sa clairvoyance.
Dans les lunes qui suivirent, dix-huit des unités de l’armada regagnèrent les ports de l’empire. La marine avait toujours été une arme fidèle.
À ce jour, l’empire n’a aucune relation avec Shannon ou tout autre contrée du royaume de Shay.
En l’an 813, Eadwulf envahit la contrée de Shannon.
Ses galères se dispersèrent sur la côte autour d’Erestia, alors capitale du royaume de Shay. Après que leurs canons aient détruit les quatre couillards 2 qui en protégeaient l’accès, les cinq qui étaient armées pénétrèrent dans le port. Elles se répartirent d’une extrémité à l’autre de l’embarcadère, d’où la piétaille indigène fut repoussée par les boulets que crachaient une vingtaine de bouches à feu. Alors que les hommes du guet, de la prévôté et les quelques soldats en garnison dans la ville érigeaient des barricades dans les rues adjacentes, des chevaliers de la foi – harnachés 3, chevauchant des destriers caparaçonnés – débarquèrent de trois des vaisseaux. Lances en avant, ils chargèrent aussitôt les fragiles assemblages de charretons, cageots, chaises, tables et objets divers. Simultanément, piquiers et arbalétriers prenaient pied sur les quais. Ensuite les matelots ahanèrent sur les anspects insérés dans les alvéoles du grand cabestan de chaque navire, enroulant les cordages des palans pour monter du pont inférieur une pièce de calibre 36 4, ajustant la longueur pendant la translation, puis freinant le déroulement pour la déposer en douceur à terre.
Les défenseurs et la population furent rapidement refoulés dans la forteresse royale.
Le siège ne dura que sept jours.
Il en avait fallu deux aux canonniers et servants pour faire parcourir le mille 5 séparant les quais du château, à trois de ces couleuvrines 6 dont les affûts n’étaient conçus que pour se déplacer devant des sabords (l’un avait cassé une roue sur des pavés, un second s’était embourbé dans un chemin de terre imbibé d’eau).
Située sur une éminence, autour de laquelle la ville s’était développée, la citadelle était dépourvue de douves et de pont-levis. Après avoir rasé les palissades, l’impitoyable bombardement – plus de cinq cents boulets, à raison de six par heure pour chaque pièce le jour, mais de trois seulement la nuit – avait mis à mal les murailles. La herse était sur le point de céder lorsque le roi Crìsdean tenta une sortie aussi insensée qu’héroïque. C’est à la tête de sa garde personnelle qu’il mena l’assaut contre les assiégeants. Il fut déchiqueté par la mitraille dont Eadwulf avait fait charger deux canons quand on lui avait rapporté que l’on discernait des préparatifs derrière les portes.
Le jour même, pieds nus, une corde autour du cou, le chancelier de feu Crìsdean vint signifier la capitulation d’Erestia au chef des Angles. Eadwulf revendiqua le titre de roi de Shay, nul ne le reconnut. Malgré l’opposition de celle-ci, il épousa la veuve de Crìsdean, Cobhfhlaith, son aînée de quatre ans – le septième précepte de la foi ne dit-il pas : « Le pieux dispose comme il l’entend des impies ». Ce nonobstant, le clan Ó Dochartaigh rejeta ses prétentions, à l’instar des autres.
Dans l’attente de l’artillerie de campagne, poudre, munitions et spécialistes réclamés à son oncle, bien que sa piété ne dépasse pas la raison, il dut s’appuyer sur Brictric et ses chevaliers de la foi pour conquérir village après village, ville après ville, la contrée de Shannon.
Bloqué à l’est par les céimeanna an thiar7, au sud par an gàirdean Lir8 et au nord par an abhainn a scoilteann7 et an abhainn ag tonnaíl7. Ce fut avec joie qu’il accueillit le représentant de l’empereur.
Joie qui se transforma en ravissement à l’annonce de la naissance de sa sœur.
Ravissement qui fit place à la tristesse lorsqu’on lui apprit la mort de sa mère.
Tristesse qui engendra du ressentiment envers son oncle : « Comment l’empereur a-t-il pu laisser sa sœur s’embarquer dans son état, sans la faire accompagner par les meilleurs archiatres de l’empire ? ».
Ressentiment qui se métamorphosa en colère quand on l’informa que les galères n’apportaient ni canons, ni charges, ni boulets, ni experts aptes à les fabriquer : « Comment l’empereur veut-il que j’assoie mon autorité dans mes terres et que j’en conquière d’autres sans les armes assurant notre supériorité sur les indigènes ? »
Colère qui devint rage dès que son interlocuteur lui répondit : « L’empereur ne souhaite asseoir votre autorité sur aucune terre, c’est en qualité de vice-roi que je suis ici, pour gouverner en son nom. Je déciderai, en son temps, si nous avons besoin de renforts. Voyons maintenant quelles richesses nous pouvons charger sur les navires en partance pour l’empire. »
Rage qu’Eadwulf avait contenue jusqu’à la fin de la déclaration du… du…
« Minable vermisseau ! Misérable colporteur ! Je pourrais vous trancher la tête et l’expédier à mon ingrat d’oncle, en guise de richesse ! Je devrais vous confier à Brictric qu’il vous enseigne la différence entre foi et bimbeloterie », la laissa-t-il exploser.
Ce dernier avança d’un pas vers l’ex-vice-roi, mais Eadwulf le retint et reprit :
« Je vais vous renvoyer, quasiment intact, auprès de celui qui se donne le titre d’empereur. Vous lui direz que puisqu’il ne me juge pas digne de gouverner en son nom, je gouvernerai au mien. À partir de cet instant, je suis le despote Eadwulf, maître de la contrée de shannon et bientôt de Shay. Nos terres n’appartiennent pas à l’empire et ne lui appartiendront jamais ! Chevaliers de la foi, emparez-vous de ce malandrin ! Avant de l’escorter jusqu’à son vaisseau, qu’on lui coupe la main droite pour avoir tenté de voler ce qui m’appartient ! »
Ainsi fut fait.
Nous ne nous appesantirons pas sur ceux qui tirèrent profit de cette rupture, en Shannon ou dans l’empire.
Eadwulf n’était pas qu’excellent stratège, tacticien et combattant, ce fut avant tout un jeune homme observateur, particulièrement intelligent et extrêmement ambitieux.
Dans un Empire paisible et très prospère, la conjoncture ne lui offrait que peu de possibilités de briller. Son oncle était amplement pourvu d’héritiers, et il menait une politique appréciée dans chaque État de l’empire, ne laissant aucun espoir d’exploit militaire. Aussi, Eadwulf mit-il toutes ses espérances dans la découverte et la conquête de terres inconnues. Là est l’avenir, prétendait-il, nous ignorons où elles se trouvent, mais elles existent, nul ne peut en douter, car le nom même de gebærdstán gehealdendgeorn implique qu’il y en a au moins un autre. Malheureusement, lorsque son projet fut présenté au conseil, celui-ci estima que le coût de telles expéditions serait bien supérieur aux hypothétiques revenus à en tirer. Quand il fut rejeté par les marchands et l’argentier, Eadwulf explora une autre voie.
Il n’ignorait pas que, comme un caillou dans sa poulaine, un groupe d’exaltés désireux de faire appliquer au pied de la lettre les textes sacrés irritait le débonnaire bisceop Hariulf. Malgré une piété modérée, Eadwulf se découvrit une vocation de missionnaire, qu’il exposa au bisceop. Il argua du troisième précepte de la foi : « Aimer Alwealda, c’est le faire aimer ! » Et du dix-septième verset du Livre de Torthred : « Est aimé d’Alwealda celui qui parcourt le monde pour répandre la foi. »
Le matois Hariulf entendit parfaitement ce qu’Eadwulf n’avait pas dit, aussi un bienveillant sourire envahit son visage :
« Mon cher enfant, si tel est votre souhait, je convaincrai l’Empereur de l’intérêt de vous envoyer, vous et les chevaliers de la foi, propager la révélation au-delà des mers.
— Je vous en remercie, fðremæ 9, je saurai canaliser leur zèle.
— Je n’en doute pas, cher enfant, je n’en doute pas. »
C’est sous ces auspices que l’armada fut constituée et équipée.
Le refus qu’essuya Eadwulf ne fut pas étranger à l’intensité de la colère qu’il éprouva quand l’un de ceux qui l’avaient éconduit prétendit le supplanter et revendiqua pour l’empire les richesses qui n’avaient plus rien d’hypothétique.
De sa fréquentation de la cour impériale, le jeune conquérant avait appris l’importance du renseignement. De la venue d’un vice-roi, il apprit que celui qui contrôle les informateurs est plus puissant que celui qu’il sert. Aussi mit-il en place un système très complexe pour éviter d’être désinformé, comme il était persuadé que son oncle l’avait été.
Il voulait tout savoir et tout contrôler. Bien qu’il fût son fer de lance, il surveillait tout autant Brictric et ses fanatiques que les autochtones. Il avait également à l’œil ses proches, n'ignorant pas que c’est souvent de ceux-ci qu’émanent les trahisons.
Eadwulf prit personnellement soin de la reconstruction du Donjon carré, quasiment détruit lors de la prise d’Erestia.
Il choisit d’exclure de son niveau tous serviteurs, lesquels étaient logés aux rez-de-chaussée derrière la cuisine à côté des paneterie, garde-manger et échansonnerie. Au premier étage se trouvaient le corps de garde et la pièce de réception. Le second, celui où résidait le despote, était divisé en trois chambres 10 réparties autour d’un hall dans le milieu duquel se situait la montée.
Chacune était constituée de la chambre proprement dite, d’un oratoire, d’une garde-robe – dépourvue de la traditionnelle couchette destinée au valet – et d’un privé 11. Celle d’Eadwulf était beaucoup plus spacieuse que les autres. Cela tenait à la présence d’une antichambre et d’une salle d’état-major dans laquelle trônaient quatre tables. Sur l’une, la carte du monde connu (þæt gebærdstán gehealdendgeorn, Shay, Alastyn, an t-Eilean Sgitheanach et les îles du nord) était étalée. Celles du royaume de Shay et de la contrée de Shannon étaient gravées sur deux autres, des figurines représentant les unités angles y étaient positionnées, ainsi que des unités shanyanes et shanyloises là où ses espions en situaient. Le dernier plateau était occupé par une maquette d’Erestia.
Dans son antichambre étaient cachés l’entrée d’un abri de sûreté – lequel ne comportait pas d’oratoire – et l’accès aux passages secrets dont il avait fait truffer son logis.
La fin des travaux coïncida avec une vague de suicides : un architecte se trancha la gorge, un serrurier se pendit, un second se noya dans le port. Tous trois avaient participé à la conception et à la réalisation des systèmes très complexes permettant par pression, rotation ou déplacement d’éléments dissimulés :
o Dans le hall central de chaque niveau : d’ouvrir l’accès, masqué, au couloir entre les murs.
o Dans le couloir entre les murs : d’ouvrir l’un des accès pour en sortir.
o Dans le repaire secret :
· D’ouvrir l’accès, dérobé, au couloir entre les murs.
· D’ouvrir l’accès à l’antichambre.
o Dans l’antichambre :
· D’ouvrir l’accès au couloir entre les murs, situé dans l’antichambre.
· D’ouvrir l’accès à la cache.
· D’autoriser ou interdire l’ouverture des accès de l’intérieur des lieux dissimulés.
· D’autoriser ou interdire l’ouverture des accès au couloir entre les murs sis à l’extérieur de l’antichambre.
o Sur la porte de chaque chambre : d’obturer les dispositifs de surveillance de celle-ci quand le despote y entrait, et de les dégager lorsqu'il ressortait.
Périrent aussi : un maître d’œuvre retrouvé raide mort assis sur une chaise, son bonnet sur la tête et sa canne à la main 12, deux espilleurs 13 victimes de la rixe qui les opposa, et quatre hirondelles blanches 14 tombées de leurs échelles.
Les relations entre Eadwulf et Cobhfhlaith oscillaient entre la froide politesse et la courtoisie. Avec le temps, le clan Ó Dochartaigh, sans être partisan de celui qui les vainquit, ne voyait pas d’un trop mauvais œil que celle qui aurait dû mettre au monde l’héritier du trône de Shay puisse donner le jour au successeur du despote.
Cobhfhlaith avait sa propre chambre, dans laquelle son époux lui rendait visite aux périodes propices à la fécondation. Elle acceptait passivement les copulations charnelles avec celui-ci. Jamais elle ne lui permit de privautés, jamais elle ne consentit qu’il l’embrasse, elle ne tolérait qu’un acte purement mécanique destiné à la reproduction.
Comme nous le savons, bien que croyant, la piété d’Eadwulf était modérée, ce qui n’était pas le cas de son goût pour les femmes, leurs charmes et les plaisirs qu’elles procuraient. Aussi la troisième chambre devint rapidement celle de ses maîtresses successives.
Le temps passant, Cobhfhlaith ne lui donnait pas plus d’enfant qu’elle n’en avait donné au roi Crìsdean. Elle avait bien porté trois fruits, mais n’en avait mené aucun à terme. Þá beornas wiðinnan þá weallas15, qui la surveillaient en permanence, assuraient au despote qu'elle ne prenait aucune potion l’empêchant de concevoir et n’était en rien responsable de la perte des trois fruits. Eadwulf n’éprouvait donc aucune rancœur envers Cobhfhlaith, il n’en voulait qu’au sort, ne pouvant s’en prendre à Alwealda en public.
Bien que n’ayant pas d’enfant légitime, le despote refusait d'engendrer de bâtard. C’est pourquoi, lorsqu’il venait s’ébattre avec sa favorite du moment, il lui demandait de boire une mixture, qu’il apportait lui-même. Les rares soirs où il ne lui rendait pas visite, c’était le mire personnel du despote qui lui amenait la médication. Lequel la préparait selon une recette qu’il tenait d’une sorcière, avec qui il débattait régulièrement de médecine ; ce qui lui eut valu la mort s’il n’avait été protégé par le despote, ce dernier veillant à ce que cette information ne parvienne jamais aux oreilles de Brictric.
Jamais un beorn wiðinnan þá weallas n’eut à lui rapporter que son amante avait régurgité le breuvage.
Sans juger ni l’homme ni le souverain, force est de reconnaître que le despote était un chef bon envers ceux qui le servaient fidèlement. Il était juste, il admettait les erreurs (échecs et défaites pour les officiers), sans que cela confine à l’incompétence. Auquel cas les uns étaient rendus à la vie civile et les autres relevés de leur fonction. Des plus hauts gradés aux plus humbles serviteurs, quand l’âge, une blessure ou toute autre raison les rendaient inaptes à servir, tous étaient largement dotés.
Cependant, nul n'ignorait que tout ce qu’Eadwulf pouvait interpréter comme une trahison était non seulement puni de mort, mais engendrait ce que le coupable redoutait le plus : torture pour les uns, confiscation des biens de la famille, voire extermination de celle-ci pour d’autres, etc.
Þá beornas wiðinnan þá weallas, section dont seuls les membres connaissaient l’existence, étaient sélectionnés par Eadwulf en personne, parmi les plus fiables de ses espions. Dès 819, tous étaient issus de l’unité chargée de surveiller les agents de renseignements. Tous avaient, sans le savoir, veillé sur un ancien de la section. Lorsqu’il faisait part à un homme de son affection à cette cellule, s’il décelait que ce dernier en avait préalablement connaissance, il était immédiatement considéré comme traître, ainsi que l’ancien qu’il avait observé.
En l’an 831, à l’approche de Lugnásad 16, Cobhfhlaith perdit son huitième fruit. Elle n’en avait porté aucun plus de cinq lunes. Eadwulf commença à douter que sa femme, âgée de quarante ans, puisse lui donner un héritier un jour. Il envisagea d’épouser la vicomtesse Sexburga 17 qui occupait la troisième chambre depuis deux ans déjà, mais répudier Cobhfhlaith pour la remplacer par une Angle risquait fort de mettre la contrée à feu et à sang. Aussi renonça-t-il à ce projet.
Après mûre réflexion, lorsque vint l’équinoxe de printemps 832, convaincu qu’un héritier bâtard était préférable à l’absence d’héritier, n’en déplaise au clan Ó Dochartaigh, à Brictric et à ses fanatiques, il décida qu’on n’administrerait plus de potion contraceptive à Sexburga.
Quelques nuits s’étaient écoulées depuis Bealltainn, avant celle qui nous intéresse.
Après leurs ébats, la pensée d’Eadwulf se perdait en des rêveries fugaces, tandis qu’il passait distraitement les doigts entre les longs cheveux cuivrés de Sexburga, dont la tête reposait sur sa poitrine. Celle-ci rêvassait également pendant que ses ongles jouaient avec la toison pubienne du despote, soudain elle sourit, puis ouvrit la bouche :
« Sais-tu que cela fait deux lunes que tu viens me voir toutes les nuits ? » prononça-t-elle.
Eadwulf suspendit son geste, s’interrogea : Pourquoi me dit-elle ça ?
« Viendrais-je trop souvent à ton goût ?
— Deux lunes, sans interruption, mín gestédhors18 ! » le nargua-t-elle, en se redressant et le regardant dans les yeux.
Où avais-je la tête ? J’aurais dû m’en rendre compte.
« Tu n’as pas eu tes fleurs, portes-tu mon enfant ? s’enquit-il, se cambrant.
— Je l’espère, mais il faut attendre encore une lune pour en être sûr », assura Sexburga en l’enlaçant.
Comme son amante l’embrassait, une idée lui traversa l’esprit, vite balayée par le désir que fit renaître la main audacieuse qui, ayant abandonné les broussailles, s’activait sur le tronc.
Le lendemain, la réflexion s’imposa à nouveau, mais cette fois nulle distraction ne vint la chasser : à surveiller tout ce qui se passe, on néglige ce qui ne se produit pas.
Eadwulf s’inquiéta auprès de chacun des beornas wiðinnan þá weallas chargés d’épier Cobhfhlaith, s’il avait omis de l’informer des fleurs de son épouse. Revenus de leur surprise, après cogitation, tous répondirent que les dernières remontaient à plus de deux lunes.
Il se rendit chez Cobhfhlaith, qui lui confirma qu'elle portait très probablement un nouveau fruit.
Une bonne partie de la journée, il se posa des questions :
S’il savait, Brictric prétendrait qu’Alwealda me punit de mon impiété.
Que faire ?
Faire absorber une mixture à Sexburga pour éliminer l’éventuel bâtard ?
Et si la grossesse de Cobhfhlaith ne différait pas des précédentes ?
Puis il parvint à cette conclusion :
Si les deux venaient au monde, je renverrais Sexburga dans ses terres avec son enfant, une somme rondelette et la promesse de son silence.
Le soir même, il imposait à Sexburga le mutisme sur son possible état.
La nuit où l’on fêta le solstice d’été, il n’y avait plus de doute, au sujet de la gravidité de Cobhfhlaith et Sexburga. Eadwulf exposa à cette dernière que la complexité de la situation la contraignait à celer sa condition, en conséquence elle ne devait plus quitter sa chambre. Dans celle-ci, on ajouta un lit pour la cadette de la favorite, dans la garde-robe, on installa une couchette pour une servante ayant une expérience de ventrière 19 ; lesquelles furent avisées qu’elles répondaient sur leurs têtes du secret de la vicomtesse.
On venait de célébrer Lugnásad, quand elle dépassa l’échéance fatidique des cinq lunes de gestation, mais elle commençait à avoir des contractions. La femme du despote avait perdu sa mère et n’avait jamais eu de sœur. Aussi, Eadwulf l’avait autorisée à s’entourer de deux ban-draoidhean de son clan, pour veiller sur elle et son ventre enceint. Elles préconisèrent que Cobhfhlaith restât alitée jusqu’au terme.
À l’équinoxe d’automne, alors qu’elle était censée approcher de sa septième lune de grossesse, les druidesses estimèrent, au volume de son abdomen et à la position du fruit, que la conception était très certainement antérieure à celle envisagée jusqu’ici. La doyenne des ventrières confirma, au despote qui l’avait fait appeler, que Cobhfhlaith allait incessamment entrer dans sa huitième lune, si ce n’était déjà fait.
Eadwulf rendait visite à son épouse chaque jour.
Chaque jour, elle le chassait de ces mots : « Cessez de vous inquiéter pour votre descendance, mes sorcières veillent sur moi et sur ce petit être. Allez plutôt oublier vos angoisses dans les bras de vos favorites. »
La bienséance aurait voulu qu’il répondît : « C’est de vous que je m’inquiète ma mie, je souhaite passer la soirée auprès de vous. » Mais il estimait qu’une telle hypocrisie n’était pas digne de Cobhfhlaith ni de lui.
C’est pourquoi il se rendait quasiment toutes les nuits chez Sexburga, dont ni la gestation ni la réclusion n’entamaient la bonne humeur ou l’appétit sexuel. Lequel était amplifié par les rires et gloussements provenant de la garde-robe où se retirait la cadette lors des étreintes de son aînée avec le despote. Il se garda bien de lui révéler que Cobhfhlaith devrait faire ses couches une lune avant elle, que si tout se passait bien, il l’enverrait donner naissance dans ses terres.
La délégation du clan Ó Dochartaigh arriva au château pour la commémoration de Shamhna. Elle n’était composée que de son père, deux de ses frères et de quatre servantes. Malgré l’imminence de la mise au monde, elle devait avoir lieu dans les nuits suivantes. L’entrée dans la saison sombre les avait dissuadés de venir plus nombreux. L’après-midi, ils passaient une ou deux heures avec Cobhfhlaith, pas plus afin de ne pas la fatiguer, et prenaient leurs repas avec le despote et ses þeġnas et gesíðas20.
La délivrance était prévue douze nuits après Shamhna, la quatorzième de cette nouvelle année.
Les nuits passaient les unes après les autres, monotones, les discussions portaient sur le rôle de la fratrie de la future mère dans l’éducation de l’enfant, de celui du despote, du prénom de l’héritier.
La date envisagée fut dépassée. Les nuits se succédèrent. Eadwulf se rendait toujours chez sa favorite, laquelle vivait allègrement sa neuvième lune de prégnation 21.
Mí 22 samon se termina, sans que quiconque ne donnât la vie. Eadwulf et les Ó Dochartaigh avaient trouvé un accord : le nouveau-né recevrait un prénom celte. Niall pour un garçon, Brígh dans le cas contraire. Il serait élevé par son père et sa mère conformément aux coutumes angles.
Les nuits s'enchaînaient, Cobhfhlaith souffrait de plus en plus, les ban-draoidhean se posaient de nombreuses questions : Le terme est-il passé ? Les potions dont nous l’avons abreuvée, pour qu’elle ne perde pas le fruit, sont-elles responsables de son état ? Son enfant a-t-il décidé de ne pas naître ? La tension montait parmi les Ó Dochartaigh, et chez Eadwulf.
Le travail débuta au milieu de la treizième la nuit de duman. Quoiqu’elle fût une femme courageuse, elle commença à crier bien avant le petit matin. Ses hurlements retentirent au-delà du donjon, on les entendait dans tous les bâtiments du château.
Le soleil n’était pas encore levé que la plus grande agitation régnait au rez-de-chaussée. Le souffleur s’activait afin que le bois continue de flamber dans les foyers, le pain dorait dans un four. Allant d’un chaudron à l’autre, le potagier goûtait les soupes et ragoûts, ajoutant un légume par-ci une épice par-là, demandant au broyeur d’en piler une différente. Un apprenti tournait les broches sur lesquelles rôtissaient des pièces de viande que l’hasteur piquait, en les arrosant, pour en vérifier la cuisson et le moelleux. Le bouteiller mettait en perce des tonneaux pour remplir pichets et buires. Au premier niveau, le personnel de service circulait entre hôtes et commensaux, déposant plats, cruches et aiguières sur les tables dressées dans la salle de réception.
À midi, le ton des conversations était élevé, afin de couvrir les cris et les râles venus de l’étage supérieur. C’est à ce moment que l’échanson, qui n’était jamais loin du despote, s’approcha de lui pour lui signaler qu’une jeune femme tentait d’attirer son attention. Dans la direction qui lui avait été indiquée, il vit la cadette de Sexburga, il s’empressa de la rejoindre au bas des marches menant aux chambres.
« Ma sœur a des contractions, la ventrière dit qu’elle sera mère avant ce soir », lui glissa-t-elle dans l’oreille, avant de remonter.
Décidément, Alwealda est un dieu facétieux, pensa Eadwulf troublé par cette coïncidence.
Vers dix-huit heures, alors que le soleil s’apprêtait à se coucher, un cri déchirant fut suivi du silence, lequel sembla s’éterniser. Les hommes se dévisageaient les uns les autres, prêts à congratuler le despote. Les Ó Dochartaigh s’approchèrent de lui, tous attendaient regardant l’escalier. Une ban-draoidh le descendit, pâle, elle se tordait les mains, quand elle s’arrêta, tous virent les larmes dans ses yeux, d’une voix blanche elle déclara :
« Cobhfhlaith n’a pas survécu à l’enfantement !
— Et l’enfant ? demanda Eadwulf, en se dirigeant vers elle.
— Il est en vie, mais…
— Est-ce un garçon ? l’interrompit-il, arrivé devant elle.
— Oui, mais… » eut-elle à peine le temps de prononcer.
Le despote la saisit par le bras et l’entraîna avec lui dans son ascension vers sa femme et son fils.
Les frères de la défunte voulurent le suivre, des gesíðas d’Eadwulf allaient s’interposer quand leur père les retint.
« Ne vous hâtez point, avez-vous vu comme votre cousine (la ban-draoidh) était accablée, voire horrifiée ? Du regard, je lui ai demandé s’il y avait perfidie ; d’un geste, elle a répondu que seule la nature avait été cruelle. Laissez-le à son deuil ! »
Eadwulf entra dans la chambre de Cobhfhlaith en tirant, toujours, derrière lui la ban-draoidh, ce fut la stupeur qui le fit la lâcher. Les deux servantes Ó Dochartaigh, qui assistaient les ban-draoidhean depuis la veille, finissaient de nettoyer la défunte ; elles jetaient dans un cuveau, qui en était plein, des linges imbibés de sang. Guerrier, la vue des gens éventrés, les entrailles à l’air ou les viscères répandus sur le sol, ne lui était pas inhabituelle. Mais là, voir sa femme ouverte du pubis au nombril avait quelque chose de choquant.
« POURQUOI ? s’écria-t-il.
— Ma cousine allait mourir, nous pensions qu’il fallait sauver l’enfant, murmura la ban-draoidh.
— … Pensions ? »
Pour toute réponse, elle lui indiqua d’un signe de tête où il devait porter son attention.
La seconde sorcière se trouvait devant une petite table recouverte de langes, sur laquelle était allongé le nouveau-né dont elle achevait la toilette.
Le despote manipula l’obturateur des dispositifs de surveillance, ferma la porte, approcha du bébé, le découvrit. Il était grand et fort comme s’il était âgé d’un mí. En l’examinant, Eadwulf réalisa que ses bras étaient longs, trop longs, puis qu’il avait les jambes torves. S’il marchait un jour, il se dandinerait comme un canard. Il comprit pourquoi ces femmes doutaient du bien-fondé de leur intervention.
« C’est mon héritier ? railla-t-il. Tout ça pour ça ! ajouta-t-il in petto.
— Pas vraiment, il n’a toujours pas crié. Il respire, mais même quand je lui ai claqué les fesses, il n’a pas crié 23. »
En maudissant Alwealda, il prit son fils, bien décidé à mettre fin à ses jours, pour réparer l’erreur commise par ces fichues sorcières. Sans doute son dieu avait-il voulu lui faire payer son impiété. Il amena le visage de l’enfant à hauteur du sien, sa main affermit sa prise sur la nuque du bébé. Celui-ci – peut-être parce qu’il se trouvait dans la position verticale – eut un de ces réflexes physiologiques que les parents se complaisent à considérer comme un sourire.
Son père faillit le laisser tomber, quand il découvrit qu’il avait des dents… entre lesquelles quelques lambeaux de chair étaient coincés. L’œil hagard, il se tourna vers la ban-draoidh.
« Ça arrive ! C’est rare ! Je n’aurais jamais imaginé que l’un puisse en avoir huit !
— Mais… les morceaux…
— Il a essayé de sortir, il luttait pour sa vie. »
Fut-ce le sourire ou les derniers mots de la femme ? Peu importait la cause, un lien filial s’était ancré dans son cœur. Il reposa délicatement le garçon.
La sorcière écartant les lèvres du bébé d’une main, de l’autre, entreprenait de nettoyer les dents à l’aide d’une aiguille de bois. La seconde aidait les servantes à recouvrir sa cousine d’un drap. Ne sachant ni que dire ni que faire il tentait de réfléchir quand le cri retentit. Sa nature ne faisait aucun doute. La ban-draoidh en laissa tomber son piquoir se tournant vers le despote.
Elle fut la première à mourir. En moins d’une minute, les trois autres païennes furent sacrifiées au nom d’Alwealda, lequel semblait refuser que l’enfant d’une femme impie règne sur ses fidèles. Eadwulf rengaina la seaxbenn dans son fourreau.
Et si c’est une fille ?… La question s’imposa, comme l’avait fait la nécessité de tuer les témoins. Le despote emmitoufla son rejeton dans un linge, le serra contre lui et se rendit dans son antichambre. Là, l’évidence le frappa : cela me donnerait une raison de plus d’avoir éliminé ces incapables. Il condamna les issues des couloirs entre les murs, ressortit, gagna la chambre de Sexburga, exerça une pression pour clore les œilletons d’espionnage, entra et referma la porte derrière lui.
Les trois femmes portèrent leur regard sur lui. La ventrière lavait l’enfant, la cadette baignait le front et les tempes de sa sœur, celle-ci, radieuse, lui sourit, se souleva sur les coudes.
« Nous avons… mais qu’est… » hésita-t-elle, intriguée par ce qu’il transportait.
En quatre pas, il fut à côté d’elles et mit le fils de Cobhfhlaith dans les bras de la puînée.
« Je vous le confie ! Veillez sur lui ! Ne lui donne pas le sein, il a des dents ! ajouta-t-il en embrassant sa favorite. Une nourrice vous rejoindra ! »
En trois autres enjambées, il fut auprès de son deuxième bébé, il l’inspecta rapidement, le souleva, vérifia plus attentivement et s’extasia :
« Il est parfait – merci Alwealda –, je l’emmène, je le ramènerai plus tard, s’il le faut une nurse l’allaitera.
— Mais… tenta la mère.
— Veillez sur son frère ! » précisa-t-il en sortant.
Il ne réactiva pas les outils d’observation.
Eadwulf arriva dans la salle de réception, un lange sur l’épaule, la main gauche sous les fesses, la droite – placée un peu plus haut – sous la tête, il présentait l’enfant nu, afin que chacun puisse constater qu’il s’agissait d’un garçon. Il clama :
« Voici Niall ! De ma lignée et de celle des Ó Dochartaigh ! »
Les acclamations retentirent, Eadwulf mit Niall dans les bras de son grand-père maternel.
Sigebryht 24, attentif, vit que les vêtements du despote étaient maculés de sang, il fit signe aux autres gesíðas de se tenir prêts à neutraliser toute action des Celtes.
Alfƿold 25, l’esprit vif, s’empara d’une aiguière et de deux hanaps, qu’il remplit en venant s'interposer entre ceux-ci et Eadwulf. Il lui en tendit un et leva le sien en s’écriant :
« Longue vie à Niall !
— LONGUE VIE À NIALL », reprit l’assistance en chœur.
Un þeġn trinqua à la santé d’Eadwulf et de son fils, puis ce fut le bisceop, un ealdormann 26, un bourgeois, les souhaits se succédaient.
Niall était passé des mains de son aïeul à celles d’un de ses oncles puis du second. Sigebryht le récupéra quand, dans le raffut ambiant, le chef de clan interpella le despote :
« Où est donc ma nièce ?
— Elle a rejoint votre Cobhfhlaith, avec les autres ! »
Les gesíðas s’emparèrent des trois Ó Dochartaigh.
« Lâchez-les ! reprit Eadwulf. Si, comme moi, vous l’aviez découverte dans l’état où elles l’avaient mise, c’est vous qui auriez vengé votre fille ! Vous n’avez nul besoin de voir cette horreur, dès qu’elle sera présentable, vous pourrez la pleurer. »
Donnán Mór Ó Dochartaigh baissa la tête, ses fils le soutinrent.
« Demain, dans cette pièce, Cobhfhlaith sera exposée sur un catafalque, afin que tous puissent rendre hommage à celle que nous aimions, vous et moi ! Mais ce soir, mangez, buvez, festoyez, réjouissez-vous, nous fêtons la naissance de son fils, Niall !
» Je dois prendre certaines dispositions, je vous rejoindrai plus tard.
» Alfƿold, Sigebryht, venez avec moi ! rends-moi mon héritier ! » ordonna-t-il au second.
L’enfant dans les bras, il mena les deux gesíðas jusqu’à sa salle d’état-major.
Le despote s’assit, les invita à l’imiter.
« Vous êtes mes meilleurs amis, commença-t-il en chatouillant le menton de Niall. Vous veilliez sur mes flancs au combat. Je vous ai vus aujourd’hui manœuvrer pour me protéger de la colère injustifiée, mais compréhensible, d’un homme chagriné par la perte des siens. Aussi, je vous dois la vérité ! »
Les gesíðas étaient tout ouïe.
« Cobhfhlaith a mis au monde des jumeaux. Soit ces maudites sorcières ont volontairement nui à mes enfants, soit elles étaient incompétentes. Vous vous rendez compte, pendant cinq lunes, elles furent censées prendre soin de Cobhfhlaith et de son ventre enceint ? Quand il devint manifeste que celui-ci était plus important que la normale, elles ont prétendu que la conception était antérieure à celle envisagée. Même quand leur terme fut dépassé, à aucun moment elles n’ont parlé de gémellité. Créatures néfastes, elles ont mérité leur mort ! »
Sigebryh et Alfƿold opinèrent d’un hochement de tête, impatients d’entendre ce qu’il était advenu du gémeau de Niall.
« Je ne sais quelles manigances elles ont pu ourdir, mais le frère de Niall a les jambes torses. Malgré ses particularités, je n’ai pu l’envoyer auprès d’Alwealda. C’est mon fils, il a une telle envie de vivre, je l’aime. Autant que celui-ci, conclut-il en dorlotant Niall.
— Je te comprends. Garces ou idiotes, elles ne méritaient pas d’exister, approuva Alfƿold.
— Que pouvons-nous faire pour toi ou tes enfants ? » s’enquit Sigebryh.
Tous deux s’interrogèrent sur la présence et la nature d’autres anomalies, implicitement évoquées par Eadwulf, mais aucun ne posa la question. Il ne leur appartenait pas de décider ce qu’ils devaient savoir.
« L’existence du besson doit rester secrète. Par Alwealda, il lui faut un prénom…
— Rædwald ! C’est un nom puissant, proposa Sigebryh.
— Un nom de grand guerrier, renchérit Alfƿold.
— Va pour Rædwald, c’est un nom fait pour lui. Je l’ai confié à la vicomtesse Sexburga. Leur mère est morte, pourtant on doit leur donner le sein. Sigebryh va voir Ƿilhelm, hier, je lui ai demandé de regrouper des nourrices. Ramènes-en une, idéalement une veuve ou une ribaude, mais une qui vivrait seule et viendrait de perdre un garçon, né il y a une lune. Tu la mèneras directement à la chambre de Sexburga, je lui confierai également Niall. Ne gaspille pas ton temps. Ils ne vont pas tarder à réclamer. »
Comme Sigebryh atteignait la porte, Eadwulf ajouta :
« Après, organise un tour de garde, personne d’autre que vous deux ne peut accéder à ce niveau.
— Ce sera fait, promit Sigebryh en sortant.
— Alfƿold, trouve-moi une résidence proche d’Erestia, mais hors de la ville – spacieuse, confortable, close, avec un grand jardin arboré –, surtout isolée et facile à garder. Envoie autant d’hommes qu’il le faut, ne te précipite pas, mais dans une décade au plus tard je veux que mes enfants y soient installés et protégés. En passant par la salle de réception, avise l’assemblée que j’ai encore quelques dispositions à prendre, mais que je ne tarderai plus à me joindre à eux. »
Ils sortirent ensemble des appartements du despote, lequel se rendit dans la chambre de sa favorite, alors qu’Alfƿold partait remplir sa mission. Eadwulf fut surpris et ravi.
Si l’on faisait abstraction des deux cuveaux emplis des draps et linges et peut-être des yeux cernés de Sexburga – laquelle avait retrouvé la position, assise, qu’il sied pour recevoir –, rien ne permettait de penser qu’un enfant fut mis au monde dans cette chambre. La ventrière, mi-consternée, mi-horrifiée, faisait osciller un berceau, dans lequel Rædwald emmailloté émettait des gargouillis plus ou moins comparables aux gazouillis que l’on attend d’un nouveau-né.
Le despote déposa Niall entre les bras de Sexburga, qu’il embrassa avant d’inviter la cadette à le suivre dans l’oratoire.
« Æthelflæd, as-tu compris ce qui se passait ici ? s’enquit-il sur le ton de la confidence.
— Oui, bien sur Cynescipe27, je ne suis pas idiote, répondit-elle, frisant l’impertinence.
— Tu aimes ta sœur et ton neveu ?
— Oui…
— Dorénavant, il est l’enfant de Cobhfhlaith, ne l’oublie jamais ! l’interrompit-il.
— Oui, Cynescipe, acquiesça-t-elle en baissant les yeux et pliant le genou.
— D’un moment à l’autre, Sigebryh amènera une nourrice. Ne souris pas bêtement, tu as la vent… oublie ! Veille à ce que les tentures du lit de Sexburga soient fermées. Ne le retiens pas, il est très occupé. Ha ! Tu es toujours cloîtrée dans cette chambre. »
Avant de quitter la pièce, il saisit l’un des baquets, apostrophant la femme qui berçait son fils, il lui lança :
« Toi, prends l’autre, et passe devant, je te guiderai ! »
À peine entrée chez Cobhfhlaith, elle vit les corps ensanglantés, laissa tomber sa charge et, en portant les mains à ses joues, esquissa un pas en arrière. Mais la seaxbenn avait pris sa vie, avant même qu’elle n’ait terminé son geste.
Quelle journée, finissons-en, soupira le despote.
Après avoir refermé la porte, il se dirigea vers son antichambre. Là, il ouvrit l’accès au couloir entre les murs, y pénétra en prenant soin de maintenir l’issue béante. Au poste de surveillance de la chambre de Cobhfhlaith, il découvrit l’agent Billfrið se gúðfugol assis sur le sol, se vidant de son sang. Les morceaux d’une cruche brisée gisaient autour de lui, l’homme s’était tailladé les veines des poignets avec plusieurs d’entre eux. La tâche avait dû être pénible. Il geignait doucement, Eadwulf lui souleva le menton et avant d’abréger ses souffrances, lui dit : « Tu es un brave, ta famille sera fieffée pour ton sens du devoir ! »
Eadwulf chemina jusqu’à la position d’espiement 28 de Sexburga, où Timpana Godwine29 attendait patiemment que les œilletons soient opérationnels. D’un geste, le despote lui intima l’ordre de le suivre.
Arrivé devant le corps de son homologue, Godwine se baissa, regarda les poignets de Billfrið, puis Eadwulf.
« Plus tard, aide-moi à le sortir d’ici, prends ses pieds, je te guiderai ! » enjoignit-il en glissant ses mains sous les aisselles du mort.
Transportant Billfrið, le despote et Godwine regagnèrent la seule issue possible. Dans son vestibule, Eadwulf referma la porte du passage secret, et réactiva discrètement les dispositifs d’ouvertures de l’intérieur. Ensuite, ils se rendirent dans la chambre de Cobhfhlaith où ils déposèrent la dépouille du beorn wiðinnan þá weallas.
« C’était un brave, avec un grand sens de l’état, il a compris que même sa mort ne saurait réparer la révélation qu’il pourrait faire de ce qu’il avait vu aujourd’hui. Qu’il n’existait qu’une façon d’avoir la certitude qu’il le tut à jamais, expliqua Eadwulf.
— Mais toutes ces femmes…
— Malheureusement, même si cette évidence t’a échappé, tu es aussi dans ce cas. Ta famille sera richement dotée », conclut le despote en accompagnant la chute de Godwine dont le timpana sonna, une dernière fois, en touchant le sol.
Lorsqu’il ressortit, Sigebryh donnait des consignes aux trois gardes qu’il postait devant l’escalier, il le héla.
« Sigebryh, j’ai encore une mission pour toi. Retourne chez Ƿilhelm, je veux que Cobhfhlaith repose dans la dignité, alors qu’il envoie des gens débarrasser les corps et nettoyer ou changer tapis, tentures et mobilier.
— Je m’en occupe, y compris de demander à Donnán Mór Ó Dochartaigh s’il souhaite rapidement procéder à la crémation des siennes ou s’il désire les rapatrier dans ses terres.
— Il y a aussi trois Angles morts. Fais dresser un bûcher pour eux. Quand le vent aura dispersé leurs cendres, tu aviseras leurs familles de la perte qui les a touchées. Tu remettras une demi-bourse à celle de la ventrière, deux bien pleines à celle de Timpana Godwine, en leur expliquant qu’il a péri au service de son pays. Tu en diras autant de Billfrið se gúðfugol à son fils âgé de vingt-trois ans. Auparavant, tu chercheras sur mes terres un þriðing 30 dont il puisse, avec sa mère et toute la famille, vivre confortablement, après en avoir été nommé gereáfa 31. C’est quoi ces cris ?
— Comme je montais, Rimilda arrivait. Tu connais sa popularité, sa présence est capable d’éclipser la naissance de ton héritier !
— Excellente nouvelle ! Après cette longue journée, je vais me changer, descendre embrasser ma sœur et festoyer. Rejoins-nous, en sortant de chez Ƿilhelm.
— Ha ! J’oubliais, j’ai trouvé ta nourrice idéale, une wæscestre qui a perdu un garçon né il y a deux décades. Je ne suis pas certain de ce qu’elle entend par “perdu”, mais peu importe, c’est une femme solide de près d’une toise, elle doit pouvoir allaiter trois ou quatre enfants. Elle est à l’œuvre auprès du tien, cria Sigebryh au despote qui regagnait son antichambre.
— …
— Merci Sigebryh ! » répondit Eadwulf, en se dirigeant vers l’escalier dans des vêtements et des bottes propres.
Comment décrire séo wæscestre que Sigebryh avait sélectionnée ?
C’était une force de la nature. Elle était à l’espèce humaine ce que la jument brabançonne – de la lignée “Gros de la Dendre” – est à l’espèce équine. Grande, lourde, trapue, dotée d’une forte ossature, d’une puissante musculature, d’une croupe et d’une poitrine plus que généreuses, et d’un visage à l’avenant.
Voici ce qu’il en était de son aspect, mais qu’en était-il d’elle ?
Elle se nommait Breguswíþ, ceux qui la connaissaient disaient qu’elle était : bien brave, gentille, innocente, simple, naïve, voire simplette, niaise ou nigaude.
Après une nuit de ripaille et de libations, Eadwulf regagna le second niveau. À peine fut-il entré chez Sexburga que Breguswíþ se rua à ses pieds et lui baisa les mains.
« Merci Cy… Cynes… Cynescipe, articula-t-elle en jetant un œil sur Æthelflæd. Mille mercis, jamais j’vous remercierai assez d’avoir r’trouvé mon p’tit ! J’sais pus où j’l’avais perdu, des fois j’oublie. Y en a qui disent qu’y a que du vent dans ma tête, mais j’sais bein qu’j’oublierai pas qu’est vous qui m’l’avez r’trouvé ! »
Dans son lit, Sexburga se retint d’éclater de rire. Æthelflæd haussa les épaules d’un air consterné en désignant Rædwald qui dormait dans son berceau.
Mín Alwealda ! Comment est-ce possible ?... Peut-il réellement intervenir ainsi dans la vie des gens ? s’interrogea le despote en l’invitant à se relever.
« Ne me remercie pas, allaite mon fils comme s’il était le tien. Te souviens-tu comment il s’appelle ?
— Bein, c’est mon p’tit !
— Mais il a un nom, il s’appelle Rædwald !
— Ah ! J’l’avais oublié.
— Et son père, qui est-ce ?
— Bein, j’ch’ais po comment qu’on’en a un.
— De père ou d’enfant ? s’enquit Eadwulf dérouté par cette réponse.
— Bein, le p’tit je chais bein comment j’l’a pondu, un ’pa, j’ch’ais po.
— C’est une wæscestre, elle vit dans les cantonnements militaires. Nul besoin de la violenter, je pense que quand l’un de nos valeureux soldats lui demande de lui accorder ses faveurs, elle ne refuse pas plus qu’elle ne comprend qu’ils abusent de sa candeur, fit remarquer Æthelflæd.
— Je vois, ne t’inquiète pas, nous veillerons sur vous deux », dit le despote à Breguswíþ.
De quoi pourrait-elle bien s’inquiéter ? se dit-il.
Il promit à Sexburga de revenir le soir, l’embrassa ainsi que Niall qui était dans le lit de celle-ci, puis Rædwald dont le couffin se trouvait auprès de la garde-robe dans laquelle il vit une paillasse sur le sol. Étonné, il se tourna vers les sœurs.
« La couchette est trop petite pour elle », l’informa la cadette.
Avant de se rendre dans sa chambre, Eadwulf inspecta celle de Cobhfhlaith. Elle reposait sur sa couette, un drap blanc la recouvrait, ne laissant voir que son visage apaisé. Des feuilles d’armoise brûlaient dans quatre chaudrons répartis dans la pièce. Il ne subsistait aucune trace des tragédies qui s’y étaient déroulées.
En ressortant, il se surprit à réactiver les dispositifs d’observation. Chez Sexburga, oui, mais ici ? Bah ! Ne contrarie pas tes automatismes.
À son réveil, après quatre heures de sommeil, Eadwulf retourna dans le logement de Sexburga, il l’embrassa et avant de repartir déclara :
« Æthelflæd, avec Breguswíþ et son fils, vous allez vous installer avec Niall dans la chambre de sa mère ! Désolé Sexburga, ils reviendront avec toi le plus tôt possible. »
Dans l’après-midi, Eadwulf, Donnán Mór Ó Dochartaigh et ses deux fils vinrent chercher le corps de Cobhfhlaith afin de l’exposer sur le catafalque qui avait été dressé dans la salle de réception. Après qu’ils se furent recueillis autour de la défunte, le despote leur présenta Æthelflæd qui suppléait sa sœur la tutrice de Niall, malheureusement enrhumée, ainsi que la nourrice et son enfant.
Niall passa de bras en bras. Chacun décelait en lui des traits Ó Dochartaigh, mais tous conclurent qu’il ressemblait à son géniteur, qui se garda de participer à ce débat.
Après s’être penché, par politesse, sur le berceau dans lequel Rædwald emmailloté 32 dormait, bouche fermée, le fils aîné de Donnán examina Breguswíþ et s’exclama :
« Femme, il tient de toi, il sera grand et fort comme toi ! »
Celle-ci sourit benoîtement. Eadwulf s’éclaircit la voix et invita les Ó Dochartaigh à placer le corps de Cobhfhlaith sur la bǽr qu’ils avaient amenée. Ils descendirent la défunte, la placèrent sur le catafalque où elle fut exposée trois jours, avant qu’elle ne soit ramenée dans son clan par son père et ses frères.
∞∞
Brictric arriva le surlendemain, accompagné de trois de ses séides. Une violente dispute l’opposa à Eadwulf.
« Le fils d’une indigène ne peut être ton successeur despote, de plus il porte un nom celte : Niall. Il ne peut gouverner les croyants ! allégua le prêcheur des chevaliers de la foi.
— Qui es-tu pour prétendre décider qui me succédera ? rétorqua Eadwulf.
— Je suis la voix d’Alwealda, il ne veut pas d’un sang mêlé à la tête du royaume, regarde : cet enfant est un Celte, ça se voit comme les yeux au milieu de la figure. Ta femme a eu le bon goût de mourir, marie-toi avec l’une des nôtres. Puisque tu pèches avec Sexburga, épouse-la et fais-lui et un bébé qui sera un digne successeur ! »
Sombre crétin, imbécile. Un Celte, ça crève les yeux ? Aveugle ! Si tu savais tout ce qu’a fait celui dont tu te prétends la voix pour que cet enfant me succède. Si tu n’étais pas si bête, ce serait drôle, pensait le despote.
« Le bisceop est la voix d’Alwealda, et il a fêté la naissance de mon héritier sans réserve. Veux-tu, en déshéritant Niall, que les Ó Dochartaigh se joignent aux Ó Durcáin ? En deux ans, tu n’as pas réussi à mettre un pied dans les céimeanna an thiar alors que Ros et ses hommes se promènent derrière tes lignes comme si elles n’existaient pas ! Adonc, retourne les contenir si tu ne parviens pas à les vaincre. Toi qui n’arrives toujours pas à venir à bout d’un clan, évite de faire quoi que ce soit qui en incite d’autres à se rebeller ; et laisse-moi décider de qui me succédera ! Pars immédiatement ! Qu’on lui donne du foin pour les bêtes, de l’eau pour lui ses hommes et ses chevaux, ni vin ni pain ! »
Eadwulf et Brictric ne se revirent jamais avant la mort de ce dernier en 835.
∞∞
Trois jours après cette algarade, Alfƿold était de retour au château, mission accomplie. Il avait déniché à six lieues au sud d’Erestia une grande villa shanyloise de huit pièces, avec des dépendances pour le personnel, le tout implanté sur un terrain de six arpents33 – jouxtant la mer – arborés d’abricotiers, cerisiers, pommiers, mûriers et noisetiers. La propriété close par un mur sur trois côtés – le quatrième est la crête de la falaise donnant sur la mer, qu’il conviendra d’équiper d’un garde-corps lorsque les enfants marcheront. Bien que située dans une forêt généreuse (chênes, pins, ifs et cèdres), elle est entourée de pâturages sur une profondeur de vingt-cinq toises, elle répondait à tous les critères demandés et l’eorl qui l’occupait s’était empressé de la céder au despote, lui laissant le personnel qu’il voudrait bien garder.
Les enfants étaient âgés de neuf nuits lorsque leur père prit la tête du convoi qui les emmenait à leur nouvelle demeure, ainsi que Sexburga, Æthelflæd, Breguswíþ, un mire, quelques serviteurs de confiance des deux sexes et dix gardes dont deux agents de renseignements.
∞∞
Niall et Rædwald grandirent côte à côte, ils étaient aussi proches que peuvent l’être des demi-frères, jumeaux astraux. Breguswíþ les allaita jusqu’à leurs deux ans. Elle chantonnait en donnant le sein à son fils, afin d’éviter que ses dents du haut ne lui blessent le téton. Elle le faisait également lorsque c’était Niall qu’elle nourrissait, le père de celui-ci avait dit : « Ne fais aucune différence entre eux, traite-les comme s’ils étaient frères. »
Lorsqu’ils commencèrent à marcher à quatre pattes, les jambes torves de Rædwald ne le gênaient guère alors que ses longs bras lui conféraient un avantage important. Quand Niall réussit à progresser debout, Rædwald se déplaça à la façon des grands singes, ce qui lui permit de courir plus tôt et plus vite que son cadet. Mais son désir de ressembler à son alter ego le poussait à adopter la position verticale aussi souvent que possible, et faire ainsi autant de pas que Niall.
∞∞
Eadwulf se rendait à la résidence au moins une fois par décade, pour passer quatre ou cinq heures avec ses enfants et la nuit avec Sexburga. Tout petit déjà, Rædwald adorait son père. Lequel lui consacrait plus de temps qu’à Niall, car celui-ci était dorloté par sa mère. Ce n’est pas que Breguswíþ ne prodiguait pas d’affection à son fils, mais elle s’effaçait lors des visites du despote, n’étant présente que pour les tétés.
∞∞
Bien qu’Eadwulf lui eut fait part de sa volonté de l’épouser pour les deux ans des enfants – en précisant qu’officiellement Niall demeurerait le fils de feu Cobhfhlaith et resterait son successeur –, connaissant l’ardeur de son amant, Sexburga redoutait que son absence ne le jette dans le lit de gourgandines de la capitale ou pire dans celui d’une seule. Aussi, elle décida que dès qu’elle pourrait chevaucher, elle se rendrait au palais afin d’y passer la nuit avec le despote, le plus souvent possible.
Résolution qu’elle mit à exécution, pour la première fois, le lendemain de la nouvelle lune d’anagantio 34. Ce n’était pas qu’elle craignait qu’il oublie sa proposition de mariage, être sa femme lui importait peu, elle ne voulait pas être une Cobhfhlaith bis, elle désirait ses baisers, ses caresses, son amour. Au début, elle le rejoignait deux à trois fois par décade, puis avec le temps la fréquence de ses visites augmenta.
Après Litha35, si trois heures avant le coucher du soleil le despote n’était pas arrivé à la villa, elle enfourchait sa monture et prenait la route pour le château d’Erestia, pour n’en revenir que le lendemain.
Il en fut ainsi jusqu’au lendemain de Bealltainn 834 36. Peu avant l’heure du déjeuner de ce funeste 15 cutios, Æthelflæd, inquiète que sa sœur ne soit pas de retour, exigea que deux gardes se portent à sa rencontre, leur précisant que s’ils ne la ralliaient qu’au château, ils devaient lui demander quand elle comptait rentrer à la villa, et revenir promptement l’en informer.
Ils partirent au galop. Moins d’une heure plus tard, Æthelflæd entendit des sabots frapper le sol de l’allée. En prêtant l’oreille, elle identifia trois chevaux au trot. Elle sortit dans la cour, bien décidée à sermonner son aînée. Là, elle vit que la monture entre celles des soldats était dépourvue de cavalier, puis distingua une forme reposant en travers de sa selle. Son cœur se serra, elle se précipita à l’encontre des arrivants, reconnut Sexburga, accéléra, se jeta sur le corps sans vie et s’écroula en l’entraînant dans sa chute.
Eadwulf fit diligenter une enquête. Ni Brictric ni aucun de ses féaux n’avait quitté le front des céimeanna an thiar. D'ailleurs, ayant souhaité le mariage du despote avec Sexburga, il n’avait pas de raison de souhaiter la mort de celle-ci. Les Ó Durcáin n’avaient jamais fait d’incursion dans les environs de la côte est, de plus ils ne tuaient ni femme ni enfant, ils ne s’attaquaient qu’aux chevaliers de la foi et aux prêcheurs. Les Ó Dochartaigh avaient accepté qu’après un deuil de deux ans le despote prenne une nouvelle épouse, en outre ils ignoraient avec qui il comptait convoler. Tous les membres du service de renseignements furent mobilisés. De leurs rapports, il ressortit qu’aucune des personnes susceptibles d’en vouloir à Sexburga ou de la jalouser n’avait été en mesure de provoquer l’accident qui lui avait coûté la vie.
Les obsèques de Sexburga furent grandioses. Tous ceux qui comptaient en Shannon étaient venus présenter leurs condoléances, à l’exception de Brictric et Ros Ó Durcáin, occupés à guerroyer l’un contre l’autre et au demeurant non invités. La présence au côté de Niall du fils de sa nourrice et de celle-ci sembla incongrue à bon nombre de nobles, mais aucun ne fit part de son opinion à qui que ce soit, pas même à sa moitié
Niall et Æthelflæd – dont Eadwulf avait fait la tutrice de son rejeton en remplacement de la défunte – pleurèrent ensemble, qui une mère aimante, qui une sœur chérie.
Quand Æthelflæd eut fini de regretter son aînée, elle profita d’un tête-à-tête avec le despote pour lui expliquer, après maintes circonlocutions, qu’il serait agréable à son pupille et neveu qu’elle devienne sa marâtre. Eadwulf n’avait nul besoin qu’elle lui rappelle qu’elle était maintenant l’unique détentrice du secret de la naissance de son héritier, il y songeait depuis le décès de sa bien-aimée. Ne fût-ce le déchirement qu’aurait ressenti Niall en perdant Æthelflæd – aux jupes de laquelle il était cramponné depuis la mort de Sexburga –, elle n’aurait pas survécu à l’évocation de ce lien de sang. Il se contenta de lui répondre sèchement : « J’y penserai ! » Puis il affecta à la villa deux hommes supplémentaires, exclusivement chargés de la surveiller.
∞∞
En l’an 835, au milieu de la saison sombre 37, Ros Ó Durcáin fêta Imbolc38 en menant, à la tête d’une vingtaine d’hommes, un coup de main contre l’état-major des chevaliers de la foi. Au dire du seul rescapé, l’attaque n’avait duré que quelques minutes, le chef de clan avait tué Brictric de son cladio puis avait donné ordre qu’on l’épargne, lui, ajoutant :
« Dis à ton despote que votre dieu et ses prédicateurs n’ont pas leur place dans les céimeanna an thiar ! »
La nouvelle ne chagrina pas vraiment Eadwulf, qui entama des pourparlers de paix avec Ros. Lors des négociations, une idylle naquit entre Ros et Rimilda – laquelle avait préalablement souscrit au projet de son frère : la marier à Ros pour sceller l’accord. L’inopinée oaristys facilita grandement la signature du traité de Tulou de la 6 ogron 835. Vingt nuits plus tard, on fêtait Bealltainn et célébrait les noces de Ros et Rimilda.
Le suivant, de retour à Erestia, Eadwulf se rendit à la villa pour consacrer la matinée à ses enfants. L’après-midi, il épousa Æthelflæd. Ni elle ni lui n’ayant le désir de partager le lit de l’autre, le despote regagna la capitale, avec le bisceop, immédiatement après la cérémonie.
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Depuis qu’elle vivait à la campagne, Æthelflæd se sentait exilée. Il n’y avait qu’une autre gliwingmann à proximité, et elle s’était fâchée avec celle-ci lorsqu’elle l’avait découverte dans le lit de l’une des soubrettes qu’elle-même avait initiées au tribadisme. La première année, inculquer les plaisirs qu’une femme pouvait donner à une autre aux fréowíf qu’elle enjôlait, la désennuyait, puis cette vie devint monotone, morose après la mort de sa sœur, et enfin nostalgique.
Moins d’un après son mariage, lassée de trois ans de réclusion, elle décida d’aller fêter le solstice d’été à Erestia. Non pas au château, auprès de son conjoint, mais æt þá twá ánhornas, une taverne dont le sous-sol dissimulait un lupanar, lieu de rencontre et de débauche réservé aux membres de la gent féminine, quels que soient leurs penchants et rendez-vous d’artistes.
Elle y avait pris tant de plaisirs que comme le fit son aînée pour rejoindre Eadwulf, trois à quatre fois par décade, en fin d’après-midi elle enfourchait son palefroi et se rendait æt þá twá ánhornas où elle passait la nuit. À l’aurore, la tenancière – qui dans une telle mine d’informations, ne pouvait être qu’une agente du service de renseignements – lui faisait préparer un en-cas, ordonnait que l’on scelle son hongre, et allait frapper à sa porte, afin qu’elle reprenne la route vers la villa.
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Le matin suivant la dixième nuit d’equos, comme la collation refroidissait, que le cheval piaffait, la tôlière alla de nouveau toquer à l’huis d’Æthelflæd, en l’absence de réponse elle attendit un moment, puis ouvrit. Stupéfaite, elle découvrit deux femmes nues couchées l’une sur l’autre, tête-bêche, transpercées par une épée bâtarde, piquées sur le sommier, à l’instar d’un papillon sur l’étaloir. Un espoir irraisonné la fit avancer, elle attrapa les cheveux de celle qui se trouvait dessus, souleva la tête, reconnut Denegifu, la célèbre pamphlétaire. Elle respira, laissa retomber la tête, se pencha et regarda entre les cuisses de Denegifu. Catastrophe ! pas le moindre doute, l’épouse du despote était là, chez elle, sous sa surveillance, assassinée, dans une position sans équivoque. Qui ? Comment ? Pourquoi ? Rien à foutre ! Il faut se barrer !
Elle sauta sur le dos de la monture d’Æthelflæd et tenta de quitter la ville. Mais le sergent de garde à la porte de la cité avait l’habitude de voir passer à cette même heure la dame d’Eadwulf juchée sur cet animal d’exception, aussi fit-il arrêter la voleuse qui le chevauchait. Lorsque la prisonnière parvint au château, elle réclama un entretien avec son supérieur et lui déclara qu’elle avait une information qu’elle ne pouvait révéler qu’au despote, le plus tôt possible. Sans tergiverser – la tentative de fuite démontrait l’importance de l’événement –, il la conduisit auprès d’Alfƿold. Celui-ci l’introduisit dans la chambre d’Eadwulf, puis se retira. Quelques instants plus tard, Eadwulf le rappela et demanda à l’agente de lui répéter ce qu’elle venait de lui apprendre.
Sigebryht et Alfƿold se rendirent æt þá twá ánhornas, accompagnés d’une escouade de gardes. Tandis que ces derniers réveillaient et rassemblaient les pensionnaires – courtisanes et gigolos –, les gesíðas pénétrèrent dans l’alcôve où se trouvaient les victimes.
« Franchement, avec Denegifu… y a pas idée ! murmura Alfƿold en extirpant la lame des corps.
— Æthelflæd va me manquer, soupira Sigebryht qui glissa les mains sous les aisselles de Denegifu. Prends ses pieds !
— Imagine qu’hier soir elle t’ait, encore une fois, invité à partager sa conquête du moment, poursuivit Alfƿold en soulevant la polémiste.
— Elle ne serait pas morte, répliqua Sigebryht en reposant leur fardeau sur le drap étalé au sol.
— Et celle-ci serait maintenant sur þæt Brerd lōg en train de déclamer un fabliau contant sa torride nuit avec le gesíð Sigebryht ET la femme du despote… Elle est aussi bien ici », conclut-il en rabattant le linceul sur la libelliste.
Seul un grognement mi-approbateur, mi-réprobateur, lui répondit.
Ils anonymisèrent pareillement Æthelflæd, puis surveillèrent personnellement le transport des dépouilles au château.
La soubrette de service ce matin-là, la cuisinière et le palefrenier avaient suivi l’exemple de leur patronne. Qu’ils aient ou non une idée de ce qui avait provoqué leur fuite resta un mystère, car jamais on ne les revit.
Les interrogatoires intelligemment menés révélèrent qu’aucun de celles et ceux qui vendaient leurs charmes æt þá twá ánhornas ne savait ce qui s’y était passé. Il n’y en eut que trois qui prononcèrent le nom d’Æthelflæd, les autres – à qui on expliqua que viles traîtresses, la tavernière et Denegifu tentaient de s’enfuir à l’étranger – reprirent leurs fonctions le lendemain sous l’autorité d’une nouvelle cabaretière.
La lame était une arme de parade, on identifia facilement son propriétaire : un certain Egferth, capitaine du guet récemment brocardé par Denegifu.
Les obsèques d’Æthelflæd furent célébrées dans la plus stricte intimité. Le lieu et les circonstances de sa mort furent étouffés. Sort que partagea Egferth dans le secret de sa cellule, malgré ses dénégations.
Après la disparition d’Æthelflæd, Niall commença à éprouver de la rancœur envers les femmes. Toutes l’abandonnaient. Il n’avait pas connu Cobhfhlaith, sa mère putative – qualité qu’il ignore encore aujourd’hui –, elle lui avait préféré la mort. Il avait aimé Sexburga qui s’était comportée comme sa mère – sans qu’il ne sache jamais qu’elle le fût –, puis l’avait délaissé pour la couche de son père, pour finir par en périr. Il l’avait pleurée dans les bras d’Æthelflæd, s’était attaché à elle qui à son tour, comme sa sœur, l’avait négligé ; partant le soir avant qu’il n’aille au lit, sans personne pour lui conter une histoire pour l’endormir. Même sa tante s’était installée au loin, à l’ouest de la contrée, chez les sauvages.
Et l’autre là ! La mère de son frère ! Comment son frère pouvait-il avoir une mère et pas lui ? De toute façon, il n’en aurait pas voulu de cette mère-là. Elle était bête, ne comprenait rien. Elle se contentait de sourire, de leur donner le sein et de câliner Rædwald. Ce n’était pas la mère de son jumeau, c’était une grande vache qui donnait du lait, d’ailleurs il l’appelait . Pourtant, comme elle, Rædwald était un bêta éternellement ravi, qui de plus ne savait pas parler. Leur père disait que c’était parce que la naissance de Rædwald avait été très difficile, tellement que leur mère en était morte.
Les tutrices défilèrent, Niall se plaignait d’elles jusqu’à leur renvoi, huit se succédèrent en trente mhí.
∞∞
En 838 quand les enfants eurent cinq ans, alors que partait la dernière tutrice, arriva un préost chargé de l’éducation de Niall. Conformément aux instructions du despote, le bisceop avait désigné pour cette fonction un jeune préost modéré.
Mais quand il eut enseigné les principes de la foi à Niall, celui-ci fut tout à fait convaincu de la supériorité des Angles sur les autres peuples et en particulier sur les Celtes. Il détesta cette mère celte et fut content qu’elle soit morte. Il voulut changer de nom, il serait un jour le cyning des Angles, un nom celte – race inférieure – ne pouvait lui convenir ; son frère avait un nom angle, lui ! Pour la première fois, et la seule avérée, Eadwulf se mit en colère contre lui :
« C’est hors de question, je te l’interdis, n’y pense même pas, ni de mon vivant ni après. Effectivement, un jour, tu seras le maître de cette contrée, mais dans celle-ci les Celtes sont quatre fois plus nombreux que nous, sans parler de ceux de Shanyl et de Shanya. J’ai passé un accord avec les Ó Dochartaigh. Tu es Niall, héritier du titre de despote, je te déconseille de revendiquer un autre nom ou titre. Si après ma mort, tu changes de nom, tu mettras le pays à feu et à sang ; si tu te pares du titre de roi, tu auras non seulement les Celtes contre toi, mais aussi l’Empire. »
Niall se réfugia dans l’étude des textes sacrés, tout ce qu’il y lisait le confortait dans ses opinions. Soit, il garderait ce nom, mais qu’est un nom ? Ce qui compte, c’est ce qu’il inspire aux autres. Niall serait synonyme de terreur. Les Celtes, les femmes, toutes ces créatures inférieures le redouteraient.
En attendant, à la villa, il intriguait pour faire remplacer toutes celles qui occupaient des postes que l’on pouvait confier à un homme. Lorsqu’il dit à son père :
« Pourquoi est encore ici, elle sert plus à rien, elle doit partir !
— Non ! elle ne peut partir, si elle partait, personne ne comprendrait pourquoi Rædwald resterait auprès de toi. Tu ne veux pas que ton frère s’en aille ? Alors, Breguswíþ reste ici ! » lui expliqua calmement Eadwulf, sans relever le surnom dont Niall affublait celle-ci.
Bien qu’il ne saisît pas pourquoi la présence de son frère dépendait de celle de , Niall ne revint jamais sur ce sujet.
Sa volonté était telle qu’en deux ans, il réussit à transformer le préost tolérant, chargé de son instruction religieuse, en fanatique du même acabit que feu Brictric. Quand on en informa le despote, on lui précisa que Niall était à l’origine de cette dérive.
Qu’un enfant de sept ans ait radicalisé un novice tout juste ordonné démontrait que son choix était peu judicieux, mais également la capacité de persuasion de Niall et son penchant autoritaire, estima Eadwulf. Il fit envoyer le préost chez les chevaliers de la foi, et le remplaça auprès de Niall par un plus vieux, homme débonnaire, plus préoccupé de bonne chère que d’exégèse des textes sacrés.
∞∞
La relation entre les deux garçons avait également changé.
Rappelons que pour Niall leur fraternité ne comportait aucune ambiguïté, que pour Rædwald le mot "frère" était synonyme du seul qu’il sache prononcer : Niall. Pour Sigebryht et Alfƿold, ils étaient jumeaux. Leur père et les défuntes Sexburga et Æthelflæd savaient qu’ils étaient demi-frères. Pour tous les autres, ce n’était que des frères de lait.
Pour Rædwald, Niall était la personne la plus importante, il l’admirait, lui était tout dévoué, il aurait boudé son père ou mordu , si Niall le lui avait demandé.
Niall en voulut à Rædwald : d’avoir causé la mort de leur mère ; d’en avoir une à lui tout seul, aussi stupide soit-elle ; d’être très fort alors que lui, il était frêle ; d’entendre leur père lui répéter qu’il devait protéger son frère, qu’il lui devait tout.
De l’œuf d’un reptile n’éclôt jamais un oisillon. Ainsi, Niall, conscient que Rædwald était à son entière dévotion, ne manifesta aucune acrimonie envers celui-ci, mais il encouragea ses mauvais penchants et fit de lui sa chose.
Le jour où par curiosité Rædwald mangea un scarabée, Niall applaudit et rit à gorge déployée. Chaque fois qu’il en voyait un, il le désignait à Rædwald en le nommant ciaróg39, lequel s’empressait de le croquer pour entendre son frère rire et être applaudi par lui. Avec le temps, les acclamations laissèrent place à un sourire. Quand Niall cria ciaróg en montrant une mésange bleue, Rædwald la dévora, faisant renaître l'exubérance de son idole. Il en fut de même pour le premier ciaróg pigeon et pour les ciaróg chats qui suivirent.
∞∞
Pour lui procurer un autre centre d’intérêt que la religion, mais aussi parce qu’il en avait l’âge, on entama sa formation militaire. Deux maîtres d’armes furent affectés à la villa et l'on aménagea un dortoir. Sept garçons, de sept à dix ans, rejoignirent Niall.
L’aîné du groupe, le fils d’un gereáfa soutenu par plusieurs de ses condisciples, demanda pourquoi le monstre dormait avec eux.
« Parce que celui que tu appelles monstre est mon frère, et mon garde du corps ! répliqua Niall dédaigneusement.
— Moi aussi, j’ai des frères de lait, mais ils ne dorment pas avec nous, insista Ecgmund.
— Mais toi tu n’es que le rejeton d’un misérable gereáfa qui pourrait bien devenir þrǽl, même þeówling si tu manquais de respect à mon frère. Je t’imagine déjà mon þéowincel ! » menaça-t-il avec un sourire glaçant.
Le plus habile des bretteurs était Ecgmund, mais Niall était le plus hargneux. Le jeune Coenwulf Martô se révéla un archer particulièrement doué, Niall se lia rapidement avec lui. Quant à Rædwald, il était inapte au maniement des épées, des arcs, des arbalètes, des lances et des armes d’hast. Il ne pouvait pas efficacement utiliser une hache, qui exigeait que l’on frappe avec le tranchant de la lame, ni le fléau d’armes dont le maniage demandait une dextérité qu’il n’avait pas. Mais avec une masse d’arme, il était redoutable, seuls les adultes étaient en mesure de résister à la puissance de ses coups, aussi il était interdit aux jeunes gens de l’affronter.
Tandis que l’inimitié entre Niall et Ecgmund ne cessait de s’exacerber, l’amitié entre Niall et Coenwulf se consolidait.
∞∞
Les enfants d’Eadwulf avaient dix ans, lorsque l’incident eut lieu.
Le matin suivant la treize riuros, Ecgmund battit Niall à l’épée de façon humiliante, il le désarma à deux reprises, chaque fois il lui rendit sa lame et le duel recommença. Puis il fit tomber le fils du despote sur le dos, posa le pied sur sa poitrine et plaça la pointe de son arme sur la gorge du vaincu. Le silence régna quelques secondes sur l’aire d’exercices avant que le maître d’armes de service somme Ecgmund de rengainer son langseax 40 et aille aider Niall à se relever, avant de mettre fin à l’entraînement.
Au déjeuner, Niall glissa discrètement à l’oreille d’Ecgmund :
« Si tu n’es pas un dégonflé, une heure après le repas, rejoins-moi au bord de la forêt devant le grand chêne. Prends ton arme, je vais chasser la bête rousse 41, si tu n’as pas la trouille viens avec moi.
— Mais c’est dangereux ! Et on n’a pas le droit ! s’insurgea Ecgmund.
— N’en parle à personne et on sera pas punis ! T’as la trouille ? C’est ça, t’a la trouille !
— Non, j’ai pas peur, j’y serai ! »
Deux heures plus tard, Ecgmund arriva au point de rendez-vous. En voyant Niall, il fut surpris.
« Mais t’as pas ton arme ? » s’exclama-t-il.
Pour seule réponse, Niall sourit, le moqua en le montrant du doigt et l'appela ciaróg.
Le soir même, il dut expliquer à Eadwulf, venu d’urgence, qu’Ecgmund l’avait traité de Celte et avait tenté de l’attaquer alors qu’il était désarmé.
« Heureusement, Rædwald, qui cherchait des champignons, l’a vu me menacer de son langseax et s’est jeté sur lui pour me sauver la vie. J’ai eu peur, papa, tu sais ! » confia-t-il à son père.
Lequel frissonna à l'idée que Rædwald avait déchiqueté la gorge du préadolescent comme il avait déchiré les entrailles de sa mère. Néanmoins, il vengea son héritier en éradiquant la famille du gamin qui avait voulu tuer le sien.
∞∞
À treize ans, dans un environnement dépourvu de fille de leur âge, Niall et Coenwulf échangèrent leurs premières caresses et leurs premiers baisers. Le préost, peu désireux d’abandonner sa sinécure pour suivre le même chemin que son prédécesseur, leur pardonna ces gestes que condamnait le Livre de Torthred. Il leur enseigna qu’Alwealda pouvait absoudre les actes contre nature, s’ils restaient secrets et qu’en signe de pénitence leurs auteurs appliquaient avec rigueur les autres préceptes de la foi.
Le jeune Martô devint extrêmement pieux. Il avait quinze ans lorsque Niall le pénétra pour la première fois.
La fille de petite vertu, que le despote avait envoyée à la villa pour déniaiser son héritier, remonta rapidement dans la voiture qui l’avait amenée, murée dans le silence, pâle, un châle sur les épaules. De retour au bordel, alors que sa meilleure amie soignait ses blessures, elle confia que le jouvenceau qu’elle devait dégourdir avait refusé qu’elle le touche.
« Il m’a livrée à une espèce de monstre, qui avait les dents comme un piège à loups, et une bite d’âne. Comme j’étais à poil, ce débile m’a sauté d’sus comme une bête, l’autre lui a crié d’m’enculer, ce qu'il s'est empressé de faire, à sec. Non seulement il m’a déchiré, mais comme tu le vois, il m’a mordu à l’épaule quand il a lâché la purée. »
Le lendemain, dans la chambre des deux catins, on retrouva leurs corps exsangues.
Dans l’après-midi précédant la six simivis 857, le despote commença à souffrir de maux de gorge et d’estomac. Thingfrith, son mire personnel, lui administra une infusion de mélisse et de camomille. Le soir, les entrailles d’Eadwulf étaient en feu ; l’archiatre lui fit prendre une potion purgative. Dans la nuit, le malade se vida et perdit du sang par le fondement.
La sorcière, amie de Thingfrith, qu’il avait appelée en renfort, confirma son diagnostic : empoisonnement à l’arsenic.
« On l’empoisonne depuis plusieurs mhí, mais récemment il a reçu une dose plus importante. Il est condamné », conclut-elle.
Le despote lui saisit le poignet :
« Koff koff peux-tu me donner teu-heu du temps ?
— Nous allons te donner du meolc æt popig42 pour apaiser tes souffrances.
— Ne me fais puff pas répéter. Du temps koff, pas dormir.
— Si Thingfrith est d’accord, je peux te donner une potion qui va te permettre de vivre quelques nuits de plus, et accessoirement soigner ta toux, mais cela va exacerber tes douleurs.
— Fais-le, je décide teu, pas Thing… frith ! Pff dix nuits ?
— J’ai dit : quelques. Mais cinq ou six seraient déjà beaucoup. »
Pendant que la ban-draoidh préparait le philtre, Eadwulf fit appeler Alfƿold et Sigebryh, au premier, il demanda d’aller quérir ses enfants.
« Prends une voiture puff, Rædwald ne monte pas à cheval. Va, koff, fait vite ! » lui ordonna-t-il.
Après avoir bu la décoction, il congédia Thingfrith et la druidesse.
Resté seul, le despote dit à Sigebryh :
« Je vais mourir teu-heu, on m’a empoisonné…
— Mais c’est impossible, ton goûteur… le coupa Sigebryh.
— Si, regarde-moi ! Hunh… Hunh… tu dois me promettre…
— La villa, c’est à la villa qu’on t’empoisonne ! l’interrompit une seconde fois son gesíð.
— Je sais le medu43, j’ai toujours là-bas koff, une bouteille de medu personnelle, idéal pour ne pas percevoir pff le goût de l’arsenic. Mais brisons là. Je veux que tu puff puff me promettes de soutenir Niall…
— Mais c’est sûr…
— Tais-toi ! Teu jure que tu ne feras jamais rien pff contre Niall ! Je t’interdis de me venger !
— Mais…
— Pas de "mais" ! Si tu m’aimes, jure ! Koff koff… koff.
— Je te le jure, wígfruma 44, je ne ferais rien qui puisse nuire à tes fils.
— De soutenir Niall ! tu dois hunh hunh t’assurer que þá gereáfas, þeġnas, eorlas, ealdormenn et les chefs de clan celtes le reconnaissent comme leur cyning. pff pff… pff.
— Je te le jure, wígfruma, je veillerai à ce que tous ploient le genou, devant Niall, ton héritier.
— Laisse-moi, maintenant pff, envoie-moi Ƿilhelm. »
Quand le despote eut fini de donner ses instructions à son ealdorþeġn, il réclama Thingfrith, qui lui donna une seconde coupe du breuvage préparé par la sorcière.
Au matin, þá þeġnas et gesíðas, qui prenaient leurs underngereordas dans la pièce de réception du premier niveau eurent la surprise de voir des serviteurs commencer à y installer une estrade. Puis ils aperçurent Alfƿold, qui montait à l’étage supérieur, accompagné de Niall et d’un individu vêtu d’un bliaud 45 sous l’encolure duquel était prise une aumusse 46 dont le capuchon dissimulait le visage ; le pauvre, probablement blessé, se déplaçait bizarrement.
Alors que Rædwald s’était précipité à ses genoux en larmes, Eadwulf pria Alfƿold de le laisser seul avec ses enfants.
Caressant la tête du fils de Cobhfhlaith, pour l’apaiser, Eadwulf annonça qu’il était mourant à Niall. Puis, souvent interrompu, non plus par des quintes de toux, mais par des crispations et gémissements de douleur ainsi que par le manque de souffle ou les pleurs de Rædwald, il entreprit d’exposer à son héritier tout ce qu’il devait savoir. Il lui décrivit les passages secrets et les mécanismes qui les contrôlaient ; lui révéla le nom du chef du service de renseignements ; lui apprit l’existence des beornas wiðinnan þá weallas, lui dit où était dissimulés la liste de ses membres et comment il les recrutait ; lui fit part des dispositions qu’il avait prises pour son intronisation. Jamais le mot "empoisonnement" ne fut prononcé. Niall ne versa pas une larme, il savait que son père savait et qu'il ne lui reprochait rien.
Quand il eut terminé, il envoya Niall chez Ƿilhelm, qui l’assisterait dans sa prise en main de la contrée. Il garda Rædwald à son côté pour accueillir Alfƿold, auquel il fit prêter les mêmes serments qu’à Sigebryh.
Le soir, Alfƿold, Sigebryh et quatre autres gesíðas transférèrent, aussi délicatement que possible, le moribond sur une bǽr, puis le descendirent dans la pièce de réception et l’installèrent, presque assis, sur le lit établi par les domestiques sur l’estrade qu’ils avaient construite.
Le lendemain, Eadwulf abdiqua en faveur de Niall. Tous les þeġnas, ainsi que les eorlas et ealdormenn présents firent allégeance au nouveau despote de Shannon. Des messages furent expédiés dans toute la contrée.
Chaque jour, eorlas, ealdormenn et chefs de clan vinrent ployer le genou devant leur cyning, et rendre hommage à son prédécesseur. Les Ó Dochartaigh furent dans les premiers, ils félicitèrent chaleureusement le fils de l’une des leurs. Briefé par Ƿilhelm, Sigebryh et Alfƿold, Niall s’abstint de les envoyer paître.
Après avoir assisté, par sa simple présence, la prise du pouvoir par son héritier, Eadwulf sombra dans le coma la dix-septième nuit de simivis. Malgré le supplice qu’il endurait, la volonté d’assurer sa succession l'avait maintenu en vie au-delà de l'imaginable. Il mourut deux nuits plus tard.
La crémation d’Eadwulf eut lieu la 21 simivis sur þæt Brerd lōg. Tous ses gesíðas entouraient le bûcher, tous portaient une torche, ils boutèrent le feu simultanément. Ċeorlas, fréowíf, gereáfas, þeġnas, eorlas, ealdormenn se recueillirent, puis acclamèrent Niall. Le seul absent fut Rædwald, que son frère n’était pas sûr de maîtriser dans un tel moment. Le vent souffla les cendres du défunt vers le fleuve, la mer, le large, et les côtes de l’Empire, dit-on.
Niall donna de nouvelles missions au service de renseignements, en plus de politique, les agents notèrent tous les actes et paroles contraires aux préceptes de la foi. Un corps d’inquisiteurs fut créé, sous l'autorité de Coenwulf Martô.
Un plus tard, Rimilda et Ros Ó Durcáin furent les derniers à reconnaître la suzeraineté de Niall. Rimilda appréciait la liberté qui régnait dans les céimeanna an thiar ; elle reprocha à son neveu les pressions qu’il imposait aux Celtes pour qu’ils se convertissent. Alfƿold et Sigebryh durent intervenir pour empêcher Niall d’emprisonner sa tante et son époux.
Cinq nuits après, estimant avoir tenu leurs serments faits à Eadwulf sur son lit de mort, ils mirent fin à leurs vies. On les retrouva, face à face, chacun avec le langseax de l’autre dans le cœur.
Rædwald aurait été le garde du corps idéal, s’il avait pu monter à cheval, et ne fut pas terrorisé à l’idée d’embarquer sur un bateau. Son frère l’installa dans la chambre de sûreté. Parfois il s’amusait à lui désigner comme ciaróg un amant dont il n’était pas certain de la discrétion.
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Notes :
1) Vieil anglais. Drumghyll est la capitale de l’empire.
2) Trébuchet dont deux huches ou bourses (d’où son nom) servent de contrepoids.
3) Revêtu d’un harnois ou harnais (armure complète. Celle des chevaliers par excellence).
4) Le calibre correspondait au poids du boulet. 36 fut longtemps le plus gros calibre de la marine française.
Pesant près de quatre tonneaux (environ quatre tonnes), ils étaient placés dans la batterie la plus basse pour des raisons de stabilité du navire. Seul un architecte naval Angles eut l’idée aussi sotte que grenue d’implanter huit de ces canons entre les bancs de nages des galères.
Dix servants étaient nécessaires pour manœuvrer chaque pièce à l’aide de trois palans (deux de côté et un de retraite) pour la retirer, la charger par la bouche, la mettre au sabord et l’orienter pendant le pointage.
D’une portée théorique proche de deux milles marins (3 900 m), mais d’un seul en pratique.
À 200 toises (400 m), un boulet de 36 livres (17,622 kg) traversait une épaisseur de trois pieds (un mètre) de chêne.
5) Mille terrestre (français, ancien régime. 1000 toises) ➢ 1,949 km.
6) Couleuvrine : type de canon médiéval et de la Renaissance, avec un long canon à âme lisse, une portée relativement longue et une trajectoire plate, utilisant des boulets à vitesse initiale élevée.
7) Gaélique irlandais.
8) Gaélique écossais.
9) Fðremæ ➢ terme d’adresse. Titre donné aux bisceopas – Vieil anglais.
10) À cette époque, le mot chambre correspondait à l’ensemble de pièces décrites au paragraphe suivant, séparées les unes des autres par des tentures.
11 Oratoire : petite pièce dédiée aux prières.
  Privé, cabinet ou retrait, aussi nommé "arrière garde-robe" : pièce dans laquelle se trouve la chaise percée.
12 Attributs de son statut avec le compas et l’équerre.
13 Tailleurs de pierre.
14 Surnom dû à la blouse blanche que portaient – ainsi qu’une hotte et une calotte rembourrée – les francs (appellation médiévale des maçons, lesquels travaillaient la franche pierre).
15 Vieil anglais.
16 Le calendrier celtique comporte huit fêtes. Quatre mineures qui coïncident avec les solstices et équinoxes, quatre majeures situées chacune au milieu des deux mineures qui l’encadre.
Shamhna Yule (Solstice d’hiver) Imbolc Ostara (Équinoxe de printemps) Bealltainn Litha (Solstice d’été) Lugnásad Mabon (Équinoxe d’automne).
Calendrier de l'an 862. En 832, les fêtes avaient lieu une nuit plus tôt qu’en 862.
17 Ou Seaxburh, Sexburge (en français).
18 Vieil anglais.
19 L’accouchement est une affaire de femmes. Un homme, fut-il le père, fût-il médecin, fût-il prêtre, n’y assiste pas. […] la venue au monde [est] considérée comme une étape de l’existence et n’est donc pas traitée comme "maladie" : comme eux, notre compilateur* est beaucoup plus précis dans l’énumération des soins à donner au nouveau-né qu’en une description de la façon dont celui-ci "yst hors" du ventre de sa mère. L’important, c’est que l’enfant survive à la dure épreuve de son entrée dans le monde.
C’est pourquoi la mère, dans les situations normales, n’accouche pas seule. Elle est assistée de sa propre mère, d’autres femmes de sa famille, de voisines, […]. Barthélémi* ne nous parle que de deux d’entre elles : la "ventrière" et la nourrice. En fait, une seule a le rôle privilégié, quasi religieux, d’aider la mère à accoucher et de recevoir le nouveau-né : c’est l’obstetrix du texte latin, la ventriere de la traduction de Corbechon. Elle est définie comme "une femme qui a l’art de aidier la femme qui enfante pour ce que elle enfante plus legierement, et que l’enfant ne soit en péril… Quant l’enfant naist, la ventriere le reçoipt…" (Corbechon, VI. chap. X) [sic]
Salvat, Michel. L’accouchement dans la littérature scientifique médiéval. Dans L’enfant au moyen âge. Presses universitaires de Provence, 1980 (Coll. Senefiance n° 9)
* Bartholomaeus Anglicus dit Barthélemy l’Anglais. De proprietatibus rerum [12 - 1272] éd. latine (Toulouse 1475). Et traduction en français de Corbichon, Jean éd. 1479-1480.
20 Þeġnas, singulier þeġn ➢ membre de l’aristocratie engagé dans le service d’un souverain, que ce soit dans son
  entourage ou dans le pays – Vieil anglais. Équivalent du leude dans les royaumes francs.
  Gesíðas, singulier gesíð ➢ compagnon d’un chef de guerre, membre de son escorte, lié par un serment de
  fidélité – Vieil anglais.
21 Prégnation : subst. fém. - MÉD. "Grossesse". Dictionnaire du Moyen Français.
22 Mí, pluriel mhí ➢ mois – Gaélique irlandais.
23 Au Moyen Âge, pour les juristes, le nouveau-né n’acquiert pas son statut d’enfant au moment précis où il naît, mais quelques secondes plus tard, quand il pousse son premier cri. Ce cri est considéré comme un acte juridique : le bébé réserve ainsi son héritage […] Faire crier l’enfant à la naissance est donc une absolue nécessité pour bien des familles.
  L’enfance au Moyen Âge. Bnf (dossier pédagogique).
24 Anglicisé Sigeberht, francisé Sigebert.
25 Anglicisé Ælfwald.
26 Pluriel : ealdormenn. Nobles occupant le plus haut rang, seuls þá æþelingas ➢ les princes de la lignée royale et se cyning ➢ le souverain leur étaient supérieur. Certains n'avaient pas de suzerain.
27 Terme d’adresse – Vieil anglais.
28 Fait d’épier, d’espionner. Dictionnaire du moyen français.
29 Ainsi nommé, car quand celui-ci n’était pas dans sa main, il était accroché à sa ceinture – Vieil anglais.
30 Territoire alloué à un gereáfa (le tiers de celui d’un eorl ➢ homme de noble naissance [comte]) – Vieil anglais.
31 Statut immédiatement supérieur à celui de ceorl ➢ homme libre – Vieil anglais.
32 Au moyen âge, on emmaillote étroitement le bébé avec des bandes de lin ou de chanvre (cela dépend de la richesse de la famille), pour le faire grandir droit. Il ne pouvait mouvoir ni bras ni jambes de peur que ceux-ci ne se déformassent. Ce qui dans le cas présent dissimule les difformités de Rædwald.
33 L’arpent (du gaulois arepenn, “portée de flèche”) : 42,21 ares, soit 4 221 m².
34 72 nuits après l’accouchement.
35 Lors de celle-ci – en 833 –, les enfants étaient âgés de six mhí et sept nuits.
36 Entre Ostara (Équinoxe de printemps) et Litha (Solstice d’été). Elle marque l’entrée dans la saison claire (sortie de la saison sombre). En cette année 834, trois nuits après Bealltainn les enfants auraient un an (de 13 mhí) et 4 mhí.
37 Dans les temps anciens, pendant la saison sombre, les Celtes cessaient leurs occupations extérieures, les guerres, les cultures. En 835, cela faisait plusieurs siècles qu’en cas de nécessité on dérogeait aux suspensions d’activités.
38 Une décade plus tôt, les enfants avaient eu deux ans (25 mhí).
39 Ciaróg ➢ scarabée, en langue celte (gaélique irlandais) afin d’éviter que lorsque ou quiconque prononce le mot bileta (scarabée en vieil anglais) Rædwald ne se précipite pour le manger.
40 Seax ➢ scramasaxe, langseax ➢ long scramasaxe : lame de 20″ (50cm) – Vieil anglais.
41 Bête rousse ➢ sanglier âgé de six mois à un an, d’autant plus tentant à tuer pour de jeunes Angles, que pour les Celtes, le sanglier est la représentation du dieu Lug et symbolise l'invincibilité.
42 Pour plus de détails sur l'usage thérapeutique du lait de pavot, voir GOT.
43 Le medu était l'hydromel des Angles, proche du chouchen (si le nom « chouchen » est récent, sa recette et son usage remontent au moyen-âge).
44 Wígfruma ➢ chef de guerre auquel les gesíðas prêtent serment.
45 Bliaud ➢ robe de dessus, tenant à un justaucorps ou corset. Ce nom s'applique aux robes de dessus des hommes et des femmes.
46 Aumusse ➢ capuchon avec une pèlerine courte y tenant, qu'on portait au-dehors pour préserver la tête et le cou du froid. On les doublait souvent alors de fourrures.

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