/*

11 juillet 2022

8 - Rêveries épistolaires

Ma seule liberté est de rêver, alors je rêve de liberté.
Benoît Granger
 
Aubierge

Erestia, la 2 equos 1

Chandra. Ô doux Chandra, aimant Chandra, où es-tu ?
Je chéris cette larme que je t’ai dérobée, j’aime la regarder, mais il est temps que je la range dans ma boîte à bijoux avant que les suppôts de Niall – c’est ce que sont les chambrières et dames de compagnie qui me sont affectées – n’arrivent.
Elles me surveillent, farfouillent dans mes affaires sous divers prétextes, et font leur rapport au valet du despote, quotidiennement. Aussi ne recevras-tu jamais mes courriers. J’ai pensé brûler mes lettres après les avoir écrites, mais j’y ai renoncé, car j’aurais pu hésiter, abandonner, tarder. Bref, j’ai longuement tergiversé, elles seront à l’abri dans ma tête.
Nous sommes arrivés à Erestia avant-hier, après vingt jours de mer. La ville vit dans la puanteur des bûchers. À ceux sur lesquels quotidiennement s’entassent les morts de la maladie bleue, dont de nombreux enfants, s’ajoutent maintenant ceux où sont brûlées vives les sorcières ainsi que les femmes ayant commercé avec elles.
Niall accuse celles dont la famille a la chance de ne pas déplorer de décès dû à l’épidémie d’être indévotes et de s’être procuré des potions démoniaques. Et par là mettre en danger leurs âmes, celles de leurs maris, fils et filles.
Quand je pense que ce monstre va m’épouser, j’ai envie de mourir, mais il menace de s’en prendre aux miens si je disparaissais. Les pauvrettes sont soumises à la question par Gernebern, le successeur de mon frère. De ma chambre – ne devrais-je pas dire de ma cellule – je les entends hurler toutes les nuits. Au nom d’Alwealda, on les torture pour leur faire avouer qu’elles ont eu recours à des breuvages concoctés par des païennes.
Ô, mon amour, ma vie se réduit à ces heures que j’ai passées auprès de toi. Avant, je n’étais qu’indifférente obéissance. Depuis, je vis un cauchemar perpétuel.
La plupart des victimes de ces sévices dénoncent celles qui leur ont porté secours ou toute autre personne dont on leur a suggéré le nom. Elles savent qu’elles périront dans les flammes, mais sans doute préfèrent-elles cette mort aux atrocités qu’on leur fait subir.
Ma toilette est maintenant terminée, la duègne me tend le Vénérable livre des lois d’Alwealda dont je dois faire la lecture à haute voix.
À plus tard mon bel amour.
Chandra.
J’ai mal, je souffre, j’ai peur.
Je suis terrifiée, j’ai honte, il faut
Non, je ne peux pas
...
Erestia, la 7 equos

Ô Chandra, mon prince
Que n’as-tu une armée pour venir me délivrer des griffes du monstre à qui l’on me mariera la 9 aedrini ?
Comment te décrire la profonde affliction dans laquelle je me trouve ?
J’ai tant à te raconter que je ne sais par où commencer.
Le plus simple est de respecter la chronologie des évènements.
Le soir précédent la quatrième nuit, le despote avait organisé un banquet au cours duquel il annonça que nos noces seraient célébrées le Jour de la Révélation d’Alwealda. Le marquis des céimeanna an thiar2, le vieux Ros Ó Durcáin, prit la parole.
Je réalise que tu n’appartiens pas à ce monde, voici quelques éclaircissements :
Alwealda est notre dieu tout-puissant, le maître de tous. Il y aura bientôt mille trente-trois ans, six jours avant l’équinoxe d’automne, Torthred, le saint prophète émergea des eaux en brandissant un Tridacna gigas. Tous les habitants du village se précipitèrent pour voir le monstrueux coquillage. La déception qu’ils ressentirent en constatant qu’il était vide fut vite remplacée par l’émerveillement quand ils découvrirent les lettres profondément incluses dans la nacre. Ainsi furent révélés les préceptes de la foi...
Comme tous les peuples du gebærdstán gehealdendgeorn3, chaque année, nous commémorons ce jour.
Il y a une cinquantaine d’années, convaincus qu’il existait des terres au-delà des mers, le despote Eadwulf et l’inquisiteur Brictric ont décidé d’y propager la parole d’Alwealda. Ils ont armé vingt-cinq galères et mis le cap à l’ouest. Deux lunes plus tard, dix mille soldats de l’ordre de Torthred – dont trois mille chevaliers – et quatre mille chevaux débarquaient sur la côte du royaume de Shay. La cavalerie lourde inconnue des indigènes leur conféra un avantage décisif dans leur conquête. Suite aux premiers succès, trois navires regagnèrent þæt gebærdstán gehealdendgeorn. Six lunes après, lorsqu’arrivèrent les vaisseaux des colons, Eadwulf avait déjà assujetti la quasi-totalité de notre territoire actuel, et Brictric avait engagé la conversion des autochtones. Seul l’ouest de Shannon échappait à notre contrôle, Declán Ó Durcáin en était le maître.
Dix-huit ans plus tard, après les funérailles de Declán, son fils devint le chef du clan. Ros – alors âgé de dix-neuf ans – et ses hommes se mirent à harceler en permanence l’armée angle, ils menaient des raids éclair jusqu’à plus de vingt lieues à l’arrière nos lignes. Après chaque incursion, ils se retranchaient dans son inexpugnable citadelle de Tulou. Ils laissaient derrière eux des chevaliers de la foi revêtus de leurs surcots, sans manches, ornés du T – symbole de leur ordre – se balancer au bout d’une corde.
Eadwulf – le père de Niall – chef de guerre, mais aussi stratège, prit conscience, après quatre ans de guérilla, que seul un traité pouvait mettre fin aux nuisances causées par les Ó Durcáin.
Je passe sur les péripéties qui sont, pour toi, sans intérêt. Pour obtenir la paix :
Eadwulf conféra le titre de marquis à Ros et lui attribua les terres des céimeanna an thiar – territoires que dans les faits, ce dernier contrôlait déjà.
Il concéda la liberté de culte dans le marquisat – condition sine qua non posée par Ros.
Pour sceller l’accord, on maria Rimilda – la jeune sœur d’Eadwulf – à Ros.
C’est donc en qualité d’oncle par alliance que Ros – arrivé à Erestia le matin même avec quatre compagnons – fut convié au banquet donné pour annoncer notre mariage.
Aussi cela fit l’effet d’un coup de tonnerre quand, au moment des toasts, il déclara :
« Niall, si je suis ici, c’est pour vous sommer de mettre fin à votre politique d’extermination des mères et des herboristes qui ont contribué à sauver leurs génitures, à cesser d’envoyer leurs maris aux galères ou dans les mines de sel. Il est clair que votre but est de voler leurs enfants pour les placer dans les familles angles dont la bigoterie a condamné les leurs. »
Gernebern s’est écrié : « Hérésie ! »
Ros eut le temps d’ajouter : « que faites-vous des trop âgés pour accepter de nouveaux parents ? »
Niall a ordonné : « Gardes, saisissez-vous de ces traitres impies ! »
S’ensuivit une échauffourée au cours de laquelle périrent cinq gardes et trois des affidés de Ros.
Le soir même, alors que mes geôlières s’étaient retirées, je m’installais auprès de la fenêtre quand j’entendis une clef tourner dans une serrure et le pêne claquer, puis la séquence sonore se répéta une seconde et une troisième fois. La porte s’ouvrit, le despote pénétra dans la pièce, avança vers moi, empoigna mes cheveux, me jeta à plat ventre sur le lit. Tenant toujours ma chevelure d’une main, de l’autre, il retroussa ma chemise de nuit, écarta ses culottes et m’empala sauvagement. Il me déchira les entrailles, je crus que j’allais mourir, mais cet espoir fut déçu. Après son acte contre nature, il me laissa pantelante et en sang. En partant, il me lança : « Tu as le cul plus étroit que celui de ton frère. Finalement, tu me seras utile, femelle ! »
J’ai dû m’évanouir, car au matin, ce sont ses sbiresses qui m’ont éveillée. Hypocritement, elles m’étourdirent de stupidités sur la perte de ma virginité, la vaillance de mon futur époux, sa compréhensible impatience. M’assurant que je n’avais pas à m’inquiéter qu’elles trouveraient du sang pour les draps de ma nuit de noces, comme si elles ne voyaient pas d’où j’avais saigné.
Pendant qu’elles débitaient leurs inepties, j’ai tenté de rédiger une lettre, mais je n’en ai pas eu la force.
Je n’en peux plus de relater toutes ces horreurs. Je continuerai plus tard.
Je sais, cela paraît stupide d’imaginer que j’entretiens une correspondance avec toi, alors qu’il n’en est rien.
Mais installée auprès de la fenêtre, je serre ta briolette dans la paume de ma main, mon regard se porte sur toi, mon bel astre nocturne, et je me prends à rêver que tu perçois ce que je me figure t’écrire.
Je t’aime ♥
Erestia, la 9 equos

Mon doux amour,
Ton ami Biriya 4 pourrait-il tenter de communiquer avec le despote comme il le fit avec mon frère ?
Bah ! Il est déjà fou, s’il l’était davantage, sûrement serait-il encore plus violent et cruel.
Il prend du plaisir à voir la souffrance, à entendre les cris de détresse. Comment une telle abomination, car il en est une, peut-elle pervertir tout un peuple ?
Hier matin mes caméristes m’ont apprêtée pour assister à l’exécution de Ros Ó Durcáin. Lorsque je leur ai signifié que je ne m’y rendrais pas, la duègne m’a répondu que le despote me voulait à son côté sur la tribune d’honneur, point.
Je n’imaginais pas que þæt Brerd lōg5 puisse accueillir autant de monde, pourtant la presse était telle que nombre de personnes restaient bloquées dans les voies adjacentes. Hommes, femmes, enfants, habitants de la ville et des environs, tous étaient là ; à l’exception des Gaëls, jetés dans les geôles ou en fuite.
Lorsque j’arrivais au bras de Niall, nous fûmes acclamés. Il régnait une humeur festive, les deux tavernes établies sur la place ainsi que les gargotes et estaminets des rues avoisinantes avaient installé des étals sur lesquels ils proposaient galettes, fromages, fruits, pain frotté, hareng fumé, piquette, clairet, hypocras, cervoise, cidre et malvoisie.
Gernebern, le bourreau et ses assistants furent ovationnés lorsqu’ils apparurent sur l’estrade qui trônait au milieu de l’aire. La charrette, qui amena Ros et son compagnon au pied de l’échafaud, fendit la foule sous une pluie de trognons.
Malgré invectives et quolibets, ce fut tête haute que Ros monta les marches qui le menaient au supplice. Eachann Mac Cana était plus mort que vif quand deux aides-bourreaux le hissèrent sur le plancher.
Gernebern énuméra une kyrielle d’accusations allant de l’hérésie au meurtre de gardien de la foi – chacune étant ponctuée par les huées des bonnes gens –, avant d’énoncer la sentence : « par ces motifs le félon Eachann Mac Cana sera roué vif ! »
Par je ne sais quel maléfice, ces paroles provoquèrent un déferlement de joie qui traversa l’assistance. Comment de braves gens – car je ne doute pas que les Erestians soient aussi bons, pieux et charitables que les Vultyens – peuvent-ils se transformer en cette masse tentaculaire, haineuse, assoiffée de sang, agitée de soubresauts à chaque impact ?
« L’âme du spectateur est purifiée par le châtiment du coupable », disent les philosophes. Mais qu’en est-il lorsque le condamné est innocent ?
Mon discours est décousu, mais l’horreur que je ressens est telle ! Je dois tout te dire, à toi qui dans ta plénitude illumines cette nuit comme l’étincelle de vie qui grandit, peut-être, en moi. Je ne sais si je dois l’espérer ou le redouter. Il y a une lune que je me suis donnée à toi et pour sa part, la nature ne m’a pas fait saigner depuis. Je suis, pardon, j’étais régulièrement réglée à la nouvelle lune. Je rêve de mettre ton enfant au monde, mais Niall me tuera avant. Peut-être mon cycle est-il perturbé par l’angoisse qui m’étreint depuis qu’à Alastyn ce monstre a révélé son intention de m’épouser.
Les horreurs qu’il me fait subir et celles auxquelles je suis contrainte d’assister me chamboulent. Hier, le bruit mat de la barre de fer frappant la chair, les craquements d’os brisés me firent défaillir. Ce sont les gifles de Niall qui mirent fin à ma perte de connaissance. Les premiers mots que j’entendis furent : « Vous voyez ! Nul besoin de vos sels, vous pouvez les ranger. »
L’impitoyable marée humaine avide de cris et de pleurs raillait le bourreau incapable de tirer plus que des gémissements d’un malheureux qui, marchant depuis la veille sur le chemin de la mort, toquait maintenant à sa porte.
Le mécontentement du public était tel que d’un geste le despote ordonna à Gernebern d’enchaîner. Les membres et le bassin de Mac Cana étaient rompus chacun en trois morceaux, conformément à la loi, lorsque l’inquisiteur mit fin au bris des côtes. Puis ce fut au tour de Ros Ó Durcáin d’être accusé des pires vilenies.
Tu dois savoir que la veille cinq hommes s’étaient jetés sur lui pour s’en emparer sans le blesser gravement. Trois d’entre eux avaient péri de ses mains, mais il avait finalement été capturé, ne souffrant que de contusions. Aussi comparaissait-il bâillonné avec autour du cou un carcan dont chaque extrémité était reliée par une chaîne aux entraves de ses chevilles.
« Et pour avoir mis en péril l’âme de milliers d’enfants innocents et les forçant à boire des potions maléfiques, l’infâme Ros Ó Durcáin est condamné à être scarifié, à ce que ses chairs soient brûlées et enfin à être écartelé ! » conclut Gernebern.
Des vivats retentirent, les gens exultaient, beaucoup se mirent à danser sur place. Stupéfaite de ce comportement, je parcourus la multitude du regard dans l’espoir d’apercevoir de la consternation. Mais que nenni, l’excitation était si intense que sur le bord ouest de þæt Brerd lōg – celui qui lui donne son nom –, des personnes, bousculées, tombèrent dans le fleuve. Nul ne se porta à leur secours.
Je ne m’appesantirais point sur le sort du malheureux Gaël. On lui avait ôté son bâillon afin que tous puissent se repaître de ses cris.
Tandis que le bourreau entaillait ses chairs – il pratiqua une quarantaine d’incisions en prenant grand soin de ne point provoquer sa mort –, Ros clamait des mots, rendus inaudibles par les beuglements de la populace. Mais alors que l’on versait du plomb fondu dans les sillons fouis dans ses membres et de l’huile bouillante dans ceux creusés dans son tronc, il hurla de douleur. L’enthousiasme de la foultitude atteignit son paroxysme, crus-je. Applaudissements, hourras, félicitations et éloges étaient adressés au becquillard 6.
Niall était en transe, il jouissait de la souffrance infligée, ses doigts crispés broyaient mon avant-bras, j’ai tenté de me soustraire à son emprise avant qu’il ne me fracture le poignet. Il me foudroya du regard, néanmoins la pression se fit moins forte, sans qu’il aille jusqu’à me lâcher. Malheureusement, bien vite, l’étreinte suivit son exaltation, plus il jubilait plus elle se resserrait. Il m’interdit de fermer les yeux lorsqu’on enfila sur chacun des bras et jambes nus du supplicié une pièce de cuir – ressemblant à un licol auquel on aurait ajouté un montant reliant la têtière à la muserolle en passant sur le chanfrein.
Alors qu’arrivaient quatre chevaux de trait, caparaçonnés aux couleurs des chevaliers de la foi, le despote m’expliqua avec délectation : « le rôle ces cæfester7 est d’empêcher les articulations mineures de se déchirer, il est important que ce soient les membres entiers qui se détachent du tronc pour que chacun et chacune – il insista sur ce mot – sache ce qu’il en coûte de s’opposer à moi. »
Je défaillis de nouveau, avant… tu comprends.
Cette fois il fallut les sels pour me ramener dans cette abominable réalité. Je gardais les yeux clos. Le despote, qui ne m’avait jamais lâchée, se leva, il me traîna littéralement derrière lui, marchant à grands pas, pressé, jusqu’à ma chambre. Là, il me jeta sur le lit et usa de moi comme lors de la quatrième nuit. En me pilonnant, il éructait par bribes : « Ha ! C’était bon… de le voir démembré… Voir son sang jaillir… comme mon foutre… jaillira en toi… Salaud de Gaël… je bandais comme un âne… J’avais envie de t’⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎… sur place… pendant qu’il crevait… En morceaux, qu’il a fini… Ha ! t’es… » À ces propos je manquais tomber en pâmoison, une fois de plus, mais malheureusement la violence de ses coups de boutoir me maintenait consciente. S’ensuivit une logorrhée de vulgarité à mon égard et celui de Ros. Jusqu’à ce qu’il se soit soulagé, à deux reprises.
À la nuit tombée, il revint me prendre de même manière.
Va-t-il se servir ainsi de moi chaque fois qu’il sera réjoui ou en colère ?
Je t’aime, je veux mourir, mais je ne peux tuer ce doute, cet espoir. Alwealda, que lui arriverait-il ?
❤️
Erestia, la 16 equos

Mon bien-aimé Chandra,
J’ai encore eu des nausées, ce matin. Cela fait cinq jours maintenant. Ce ne peut être à cause des outrages de Niall, cela fait trois nuits qu’il n’est pas venu. Je n’ai plus aucun doute, je porte ton enfant.
J’aurais aimé le mettre au monde, mais la duègne me regarde bizarrement, elle commence à se poser des questions sur mon état. Alwealda, que va-t-il se passer ? Quand elle croira avoir une certitude, elle informera le despote.
Il me tuera, ce sera la fin de ma détention dans cette chambre où, régulièrement, il abuse de moi.
Alwealda, faites que notre enfant voie le jour.
C’est impossible, le despote ne peut imaginer en être le père, car jamais il ne s’est intéressé à ma féminité. J’ose à peine penser à ce qu’il est, lui le censeur de la morale, qui punit si durement le plus petit manquement aux lois d’Alwealda. Il avait des rapports charnels avec feu mon frère. Sans doute n’en a-t-il pas conscience, mais quand il me violente, il déplore que je sois dépourvue de... (comment dire) membre. Et ressasse comment il en userait ainsi que les plaisirs qu’elle qu’il lui procurerait.
Toutes pratiques, pour lesquelles il condamnerait tout autre que lui à finir acCROChé par les talons, aux chevillards qui ornent la façade du temple – afin que les fidèles voient périr et pourrir ceux qui enfreignent les lois d’Alwealda –, après avoir été émasculé.
Ce… ce… je ne sais comment le qualifier, il est d’une telle perversité. Comment peut-on supplicier pour leurs penchants ceux qui ont les mêmes que soi ? Je n’ose imaginer le sort de ses amants.
Je ne suis qu’une chose insignifiante, il me révèle ses travers pour me terroriser. Comment ne pas l’être ?
Je suis inquiète, je deviens folle, je sens une inquiétude qui m’est étrangère quand je serre ta larme dans ma main.
Heureusement, en cette saison le ciel est dégagé, je peux donc, en te regardant, communier avec toi. Tu vois, je suis bel et bien folle. Que m’arrivera-t-il dans quelques nuits quand tu n’apparaîtras pas ?
Je t’aime et j’aime ton enfant qui, j’en suis persuadée, grandit en moi.
💋
Erestia, la 24 equos

Resplendissant Chandra,
Tu me manques, ta présence me manque, ta lumière me manque. Oh ! grâce à ton exposé d’astronomie, je sais que tu es là, que si je ne te vois pas c’est parce que la Terre se trouve entre toi et le soleil, mais tu me manques, tu ne peux imaginer comme tu me manques.
Je m’inquiète pour toi, ta briolette s’inquiète pour toi, je le sais, je le sens quand je la serre au creux de ma main. Nous avons tout lieu de nous inquiéter, j’en ai la certitude.
Il s’est passé tant de choses aujourd’hui. Laisse-moi te les rapporter.
Ce matin, personne ne s’est présenté à mon lever, ni caméristes ni dames de compagnie, pas même la duègne. Je ne comprenais pas, me posant mille questions je tentais de m’apprêter toute seule lorsque Niall est entré comme une furie. J’ai cru qu’il venait me tuer.
« Cet enfant est le mien ! » s’exclama-t-il sans préambule.
Foudroyée, je perçus les mots de sa lointaine péroraison, sans en décrypter le sens.
« Si vous donnez à entendre ou laissez supposer qu’il pourrait en être autrement, il ne verra jamais le jour !
» Voici un document rédigé et signé par le bisceop 8 Berhtwulf. Il y déclare que nous nous sommes présentés devant lui la première equos, souhaitant expier les péchés de copulations auxquels nous nous sommes livrés à bord du navire nous ramenant d’Alastyn. Il certifie nous avoir mariés ce même jour. Apposez votre signature ici à côté de la mienne !
– …
– Signez !
– …
– SIGNEZ !!!
– … »
Il me saisit le bras et me secoua.
« Vous m’entendez ? »
Pour ça, oui, j’entendais. Il me semblait que chaque mot qu’il prononçait était gravé au burin dans mon cerveau, mais ils me faisaient trop mal pour que je puisse les lire.
Il me gifla violemment.
Je signai, le glas retentit.
« Dites à vos gens de vous vêtir en blanc, nous pleurons le pieu Berhtwulf ! » expliqua-t-il, portant la main à l’oreille, avant de sortir.
Les fa qui résonnaient chaque fois que le battant frappait la panse du bourdon finirent par quitter ma tête pour atteindre mon ouïe. Je réintégrai l’horrible réalité qui est la mienne.
Le glas sonnait autant pour moi que pour le bisceop. Je suis condamnée. Je ne vivrai pas au-delà de l’accouchement, je l’ai lu dans ses yeux.
Mes gens sont venus, mais ce n’est qu’au retour de l’hommage au défunt dignitaire du culte d’Alwealda que je réalisai que, du chaperon aux chambrières, toutes étaient nouvelles. Pourtant, aucune n’était plus mienne que les précédentes.
Maintenant que ses mots sont devenus des phrases, je suis perdue. Dois-je, en audience, crier que mon enfant n’est pas de lui, qu’il fornique avec des hommes ? Ai-je le droit de provoquer la mort de ton enfant ? Puis-je l’abandonner à un… un… à Niall ?
Aide-moi !
Ai-je le droit de mourir ?
***
    ou 

***
Notes :
1) De même que nous écrivons le 3 juillet, pour le 3e jour de juillet, Aubierge écrit “la 2 equos” pour la 2e nuit d'equos, car en Shannon les Angles ont adopté le Calendrier local. Or le calendrier celte est basé sur les nuits et non sur les jours.
2) Gaélique irlandais.
3) Vieil anglais.
4) Il s’agit bien du compagnon de voyage de Chandra, celui qu’il nomme : भेड़िया (Translittération IAST : bheḍạiyā. Translittéré “Bhediya” dans ce récit), que Aubierge écrit comme il se prononce.
Lorsqu’en 2016, il pénétra pour la première fois dans ma tête pour me conter son histoire. Je dus trouver comment écrire ce nom : le mot désignant “loup” en hindi, je suis allé au plus facile : Google.
Depuis j’ai approfondi la question et diversifié mes sources. Hormis pour Chandra, Chaitali, Dalaja et Bhediya, dont j’avais utilisé ces graphies pendant plus d’un an, j’utilise depuis 2017 la translittération IAST, car les graphies et les prononciations varient selon les sources. Exemple, pour भेड़िया  :
Shabdkosh ➢ translittération : bheriya ; prononciation : bhēṛiyā ou bheriyaa .
Dictionaric ➢ translittération : bhēṛiyā ; pas de prononciation.
Bolti ➢ pas de translittération ; prononciation .
Google ➢ translittération : bhediya ; prononciation .
Particularité de Google l’absence du point souscrit sous le “d” prononcé “r”. Alors que c’est le point souscrit sous les akṣaroṃ ड़ et ढ़ qui correspondent à ḍ et ḍh transcrit les sons ṛ ṛh.
अक्षरों akṣaroṃ ➢ les sons-lettres, lettres, caractères. Singulier ➢ अक्षर akṣara.
Je saisis l’occasion pour attirer votre attention sur les particularités du pluriel hindi.
दो अक्षर do akṣara ➢ deux lettres.
चौबीस अक्षर caubīsa akṣara ➢ vingt-quatre lettres.
अक्षरों akṣaroṃ ➢ les lettres.
Gaëlle N. Harper attire la mienne sur le fait qu’il y a un paquet d’autres langues qui laissent tomber la marque du pluriel s’il est déjà rendu évident par un article ou un adjectif.
5) Vieil anglais.
6) Argot : Béquillard (Sue, Les Mystères de Paris, t. 3, 1842-43, p. 26) ou becquillard (Hugo, Les Misérables, t. 2, p. 199), béquilleur subst. masc. (A. Bruant, Dict. fr.-arg., 1901, p. 71), “Bourreau”.
7) Vieil anglais.
8) Bisceop : évêque (vieil anglais). Ici,rang dans l’église d’Alwealda équivalant à celui de hiérarque dans l’Église orthodoxe.

***
    ou 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire