/*

03 mars 2021

4 - Magie

Si toute parole est action,
alors, toute parole est magie.
Tzvetan TODOROV.
 
चन्द्र

À la fin du festin, le roi Liam se leva, imité par la reine et tous les convives, et porta un toast à la victoire de l’union des nations présentes dans leurs combats contre les Orcs. Des serviteurs débarrassèrent les tables ; une fois celles-ci vides, après avoir vérifié que personne n’était en contact avec elles, ils les faisaient disparaître ; prenant la même précaution, ils escamotaient également les sièges. Alors que six autres circulant entre les invités – lesquels se rassemblaient en petit groupe ou en couple – leur offraient des coupes en cristal de roche qu’ils proposaient de remplir d’hydromel, vin d’anis ou d’absinthe, hypocras, piquette ou clairet, contenus dans des buires.
J’observais avec curiosité de nombreux comportements de séduction, quand une scène surprenante se produisit. La Bandrui Maebd approcha de Bhediya, se mit à genoux devant lui, enlaça son cou et posa son front contre le sien. Tous et toutes suspendirent leurs gestes et leurs mots. Tétanisés, pendant plusieurs minutes nous regardâmes quelque chose qui dépassait notre entendement. Lorsqu’elle se releva, Maeb rejoignit Liam et Eileen. Nul n’osa l’interroger et mon compagnon fit très exactement comme s’il ne percevait pas mes questions. Les parades amoureuses reprirent. Quelques femmes me demandèrent si le loup accepterait qu’elles le touchent. Il répondit toujours par l’affirmative. Ces caresses furent furtives et craintives à l’exception de deux d’entre elles qui plongèrent profondément la main dans le pelage de Bhediya. Aucun homme ne formula semblable requête.
Plus tard, le couple royal convia Bhediya à se rendre sous les dômes afin d’y observer sur les représentations des ciels les prémisses du phénomène astronomique ; le roi précisa que tous étaient les bienvenus et invita ceux qui ne souhaitaient pas aller sous le dôme-est à quitter la pièce. Je les accompagnais bien entendu en qualité d’interprète de mon compagnon de voyage. Les hôtes, dans leur quasi-totalité, suivirent le mouvement – ou devrais-je dire : furent déplacés ? Car de mouvement il n’y eut point. Nous étions dans la salle du banquet, je ressentis un léger trouble, nous étions sous le dôme-est.
Je réalisai aussitôt que la sensation de pesanteur consécutive aux plaisirs de la table avait disparu. Je n’eus guère le temps de m’interroger sur le comment de ce voyage, car Bhediya décida d’improviser un cours d’astronomie, que je dus bien sûr prononcer pour lui.
« Comme vous le savez, l’observation d’un mouvement a deux causes possibles. La première, la plus évidente : l’objet – par objet, j’entends tout ce que l’on peut observer, inerte ou vivant, matériel et immatériel. Bhediya disait donc, que la cause la plus évidente est que l’objet est en mouvement. La seconde, c’est que l’observateur est en mouvement tandis que l’objet est immobile. On parle alors de mouvement apparent, lequel est inverse au mouvement réel de l’observateur. La plupart du temps, un mouvement réel est concomitant au mouvement apparent.
» La lune tourne autour de la Terre, laquelle tourne autour du soleil qui tourne autour du centre de notre galaxie, la Voie lactée.
» Notre galaxie, comme les autres, est en mouvement. Mais les distances qui nous séparent des objets célestes extrasolaires sont telles que : bien que la vitesse de révolution de notre soleil soit sept – virgule quelque chose – fois plus rapide que celle de la Terre, la durée de sa révolution est deux cent vingt millions de fois plus longue. Tout cela pour vous dire qu’à votre échelle… Pardon, à notre échelle – Bhediya pense votre, mais je suis l’un des vôtres – ces mouvements ne sont pas perceptibles.
» Seul le mouvement apparent des étoiles est discernable. Les observateurs que nous sommes subissent les mouvements de notre planète. La partie du ciel que nous voyons semble tourner autour de l’axe de rotation de la Terre. On nomme “équatorial” le plan perpendiculaire à cet axe. Chaque étoile devrait par conséquent se trouver à la même position chaque jour à la même heure.
» Vous remarquez sur la représentation du cielcf. – que nous voyons à nos pieds – les prémisses de l’alignement des planètes, lesquelles sont à cet instant séparées du soleil par brœðrnir1. Comme l’a fort justement fait observer notre chère Aífe, Mars couvre Vénus, l’alignement est déjà parfait entre ces deux planètes.
» Bhediya a demandé au palais d’ajouter à la représentation du ciel l’équateur céleste, ainsi que l’écliptique dont nous parlerons plus tard. Afin que vous mesuriez combien cette configuration est exceptionnelle, le palais va y le ciel d’un autre solstice à la même heure. Il va maintenant vous faire assister, en une minute, au déroulement d’une journée.
» Vous avez remarqué que les traits reliant les étoiles d’une constellation sont rouges. Il s’agit du Kvennavagn2. L’étoile située à l’extrémité du timon est communément nommée “l’étoile Polaire”, car très proche du pôle céleste. De ce fait, il semble qu’elle soit immobile et que le ciel tourne autour d’elle.
» Les étoiles semblent avoir retrouvé la même place. Mais un jour, c’est l’intervalle de temps séparant deux passages du Soleil au zénith d’un lieu, disons la flèche du Dôme sous lequel nous nous trouvons, par exemple. La Terre effectue une rotation en 23 h 56 min 4 s 300 ms, mais notre planète ne se contente pas de tourner sur elle-même, elle tourne également autour du soleil, il lui faut donc 3 min 55 s 700 ms supplémentaires pour que le soleil soit à la verticale de la flèche. Après ces 24 heures les étoiles ont donc progressé, revenons instantanément à la veille pour le démontrer.
» Mais retrouvons notre ciel,  »
À ce stade de l’exposé, bon nombre des auditeurs les plus éloignés des monarques s’étaient déjà éclipsés. Il faut bien reconnaître qu’un étrange phénomène régnait là comme ailleurs dans le palais, je ne saurais comment le décrire. Les hommes qui n’avaient pas de partenaire – habituelle ou dont il venait d’obtenir l’assentiment – tentaient d’en séduire ; certains s’affrontaient du regard. Il en était de même des femmes qui telles des tigresses, rôdaient à la recherche de celui à qui elles allaient accorder leurs faveurs.
Pour ma part, j’aurais volontiers déserté pour rejoindre celle dont le sourire m’avait ébloui, mais je dus enchaîner :
» Bhediya et le palais… Je sais, cette association paraît curieuse, mais le premier conçoit la démonstration et le second la réalise. Je disais donc, qu’afin d’illustrer les effets de la rotation et de la révolution, ils vont :
• D’abord, vous montrer le ciel tel qu’il se présentera à la fin de chacune des trente prochaines rotations. Les étoiles sembleront fixes, car elles auront regagné les mêmes positions à la fin chaque rotation. Les astres de notre système, eux, sembleront s’être déplacés en raison de leurs révolutions et du fait que chaque rotation se terminera plus tôt que la précédente. La 30e rotation se termine 29 j 22 h 2 min après le début de la 1re.
Pour démontrer l’incidence de cet écart sur la position du soleil, jusqu’à 16 h. Puis, afin de mettre en lumière celui dû au fait que le soleil se lève chaque jour, plus tard que la veille. à 16 h aujourd’hui.
• Et maintenant vous montrer le ciel tel qu’il se présentera à 16 h les 30 prochains jours. Vous allez voir le zénith de l’observateur parcourir la sphère céleste en se d’environ un degré par jour autour de l’axe de révolution de la Terre. C’est le plan perpendiculaire à cet axe que l’on nomme “de l’écliptique”. Je vous conseille de prendre l’étoile la plus proche du périmètre de notre hémisphère céleste à droite du “N” représentant le nord comme point de repère, pour ce pénultième retour, à 16 h
• À présent, faire s’enchaîner les images du ciel à 16 h des 365 jours qui vont se à compter d’aujourd’hui.
Vous avez remarqué qu’à cette heure, du 30e jour avant le solstice d’hiver au 14e après, le soleil est déjà couché.
Bien que les étoiles semblent se trouver exactement à la même position qu’un an plus tôt, ce n’est pas le cas car la période de révolution est de 365 j 5 h 48 min 45 s 130 ms. Effectuons un ultime retour à nos 16 h, pour le Notez que si nous avions mené la révolution jusqu’à son terme, la rotation se serait poursuivie jusqu’à 21 h 48 min 45 s nous présentant
Laissons maintenant le temps reprendre
» Ajoutons que l’axe de rotation de la Terre subit un changement graduel d’orientation. Pour comprendre ce mouvement, nommé la précession des équinoxes, raisonnons sur la moitié de cet axe. Ce demi-axe se comporte comme la génératrice d’un cône de révolution dont le sommet serait le centre de la Terre et le rayon de la base au pôle Nord, puisque c’est le ciel de cet hémisphère que nous avons sous les yeux. L’autre moitié de l’axe génère évidemment un cône opposé. J’ai pris le pôle comme base pour expliquer le mouvement, mais – bien que leur hauteur n’ait aucune incidence – ces cônes se poursuivent à l’infini. Ce qui nous intéresse, c’est la vitesse à laquelle l’axe de rotation de notre planète circule ; en l’occurrence, il ne parcourt qu’un degré en soixante-douze ans. Chaque étoile retrouve dès lors la même position dans notre ciel, approximativement tous les vingt-six mille ans. »
À ce moment de la présentation, il ne restait qu’une vingtaine de personnes dans la salle, dont celle avec qui j’échangeais des regards complices. Jamais je n’avais perçu ainsi le désir chez les autres. Bhediya poursuivit son laïus comme s’il ne remarquait pas la débandade de son auditoire. Je me demande, maintenant, si son discours n’était pas volontairement rébarbatif afin de nous faire fuir.
« Les étoiles semblent donc se déplacer principalement en sens inverse de la rotation de la Terre, donc dans le plan équatorial.
» Les autres planètes de notre système tournent elles aussi autour du soleil. Pour des raisons que je vous exposerais plus tard, elles opèrent leurs révolutions dans le même sens et dans le même plan que la Terre, leur rotation s’effectue également dans le même sens 3. Le déplacement de chacune dans notre ciel est donc une combinaison de sa propre révolution et des mouvements de la Terre, essentiellement sa rotation. Les planètes ne se déplaçant pas dans le même plan que les étoiles, vous pouvez donc facilement les distinguer. Ce sont ces cinq objets qui suivent le soleil, la lune se situe actuellement dans l’autre hémisphère céleste, je vous invite à venir l’admirer sous le dôme-ouest. »
Saisissant l’occasion, la reine Eileen quitta les bras du roi, dans lesquels elle était pelotonnée depuis un bon moment, se dirigea vers moi, posa une main sur mon épaule et me déclara :
« Sajjan, veuillez nous excuser auprès de Bhediya, mais d’autres obligations nous appellent, nous sommes désolés de vous abandonner. »
Son sourire et le regard qu’elle échangea avec celle qui m’avait choisi démentaient ses paroles. Elle rejoignit le roi et tous deux disparurent.
En moins de temps qu’il en faut pour le dire, les rares couples encore présents s’engagèrent dans l’escalier, ou appliquèrent la main sur un sigle de transport. Nous n’étions plus que trois, elle me prit par la main et m’entraîna vers l’escalier.
Les dieux seuls savent comment Bhediya réussit à teinter ses pensées d’ironie, mais le « bonne nuit ! » qu’il m’adressa avait une connotation grivoise.
Je viens de me réveiller et de me remémorer les évènements qui m’ont amené à le faire seul, courbatu, dans ce lit qui ressemble à un champ de bataille. J’aime les femmes, j’aime faire l’amour avec elles, mais là, depuis la fin du banquet, il y avait en moi un besoin impérieux, quelque chose d’animal, et manifestement tous et toutes le ressentaient. Le rut nous gouvernait.
Machinalement, je porte la main à mon oreille gauche. Une vague de panique déferle en moi, je cherche frénétiquement dans les draps, où est ma briolette ?
 
भेड़िया

Enfin seul !
Enfin presque, parce que tu es là, toi. Ce n’est pas un reproche, je te retrouve toujours avec plaisir.
Chandra a évoqué le rut, cela te semble inapproprié, mais ça ne l’est pas tant que tu le penses. Le rut chez les mâles n’existe qu’autant que les femelles de la même espèce sont elles-mêmes fécondes ; or la synchronisation de l’œstrus chez les femmes a disparu depuis une éternité – elle ne subsiste parfois qu’entre femmes très proches les unes des autres, rarement plus de deux ou trois –, mais la manipulation à laquelle je me suis livrée consiste justement à le provoquer chez toutes celles présentes dans le palais.
Néanmoins, il aura fallu un discours fastidieux pour venir à bout de l’urbanité du couple royal et de ses hôtes.
Comme tu l’as vu…
Bon ! je vais être franc avec toi, l’observation n’est qu’une excuse. Ce n’est pas que contempler cette configuration exceptionnelle soit sans intérêt, mais je suis venu ici dans un but précis et il est indispensable à mes projets que les rayons émis par ces planètes alignées convergent dans la salle des incantations, au début de…
Si tu avais commencé alors que l’alignement était au zénith du dôme, les radiations auraient été plus puissantes ! penses-tu.
Ha ! tu crois tout savoir. Ne rêve pas ! Tu ne connais que bien peu des choses de la magie.
D’abord, à 13 h 45 min je n’avais même pas encore été reçu en audience. Bon, d’accord, cela n’a rien à voir avec la magie, mais avant d’obtenir l’accord du roi, impossible de me rendre dans cette salle. Je te rappelle qu’être dans ce palais, c’est être entre les anneaux d’un constrictor : Anthéon peut à tout moment broyer entre ses pierres, toute créature suffisamment isolée pour qu’elle puisse l’être sans faire de victimes collatérales.
De plus, j’ai expliqué en quoi ce moment est unique : la concomitance 4 de l’alignement des planètes, du solstice et de la pleine lune. Tous ces éléments sont primordiaux pour la réalisation de ma grande œuvre. Or les deux derniers ne se sont pas encore produits. Il y a d’autant moins urgence que les dômes superposés sont conçus de façon à faire converger au centre des salles – des incantations et de l’oracle – les irradiations où que se situe leur source dans l’hémisphère céleste. Par magie, le rayon atteint le centre du cercle formé par le tambour au niveau du toit sans subir la moindre réfraction. Là, quel que soit son angle incident, il est réfracté avec un angle nul, soit verticalement.
Je résume pour toi qui n’as pas lu « Les 13 Merveilles du Monde ».
• Les Dômes du palais sont composés de quatre éléments en cristal, surmontés d’une flèche en bronze.
○ Le dôme intérieur est une section de sphère, de huit toises et trois coudées de rayon, haute de six toises. Il traverse le toit, c’est lui que l’on voit en regardant le plafond lorsque l’on est dessous.
○ Le tambour est une section de cylindre, son rayon intérieur est également de huit toises et trois coudées, il repose sur le toit où il entoure le dôme intérieur. Il est haut de quatre toises et épais d’une coudée, ce qui porte son rayon extérieur à neuf toises.
○ Le dôme extérieur repose sur le tambour, il est galbé – on dit bulbeux –, haut de quinze toises et deux coudées. Son rayon varie selon la hauteur, de neuf toises à sa base, à neuf pouces au sommet en passant par neuf toises quatre pieds deux pouces et six lignes au plus large – à quatre toises trois pieds un pouce de haut.
○ Son sommet est recouvert d’une fleur de lotus inversée, en cristal ambré.
○ La flèche est composée d’un mât, d’un diamètre de neuf pouces et haut de deux coudées, coiffé d’une sphère d’un rayon d’une coudée.
• Le tout s’élevant à vingt toises et deux coudées au-dessus du palais – à croire qu’Anthéon et les siens avaient oublié la sphère dans leurs calculs, mais chut !
Tu l’as dans l’œil ? L’image, pas le dôme ! Oui, je continue : ces dômes, comme le reste du palais, ont été réalisés par magie. En conséquence, chacun est la parfaite révolution d’un profil autour de son axe central, ce qu’aucune construction humaine n’est capable de faire 5.
Absolument identiques, leurs axes de révolution – parfaitement alignés dans l’axe est-ouest – sont distants de trente toises.
Chacun s’interpose entre une partie de l’hémisphère céleste et l’autre.
En fait, ce ne sont pas tout à fait tous les rayons qui sont déviés ! Pour être exact : il s’agit des irradiations où que se situe leur source si elles ne sont pas interceptées par l’autre dôme.
Comme je suis dans un jour de grande bonté, je te fais grâce des calculs, mais pas du raisonnement, il ne faut pas exagérer.
Les coordonnées azimutales d’un objet céleste se composent de deux valeurs en degrés :
• l’une, l’élévation, définit la hauteur de l’objet, 0° représente l’horizon et 90° le zénith,
• l’autre, l’azimut, indique la direction en prenant le nord pour origine. L’est est à 90°, le sud à 180°, l’ouest à 270° et le nord à 360° (ou 0°).
Un dôme fait obstacle à la réception des rayons par l’autre à des coordonnées dont :
l’angle d’élévation varie en fonction de la hauteur de l’obstacle et de la distance entre celui-ci et le point de réfraction, c’est-à-dire l’écart entre les axes de révolution.
l’azimut varie en fonction de cette même distance et la largeur de l’obstacle.
Dans ton passé, un certain Napoléon aurait dit qu’un bon croquis vaut mieux qu’un long discours. Et un certain Picasso aurait réuni dans un même plan face et profil. Je me suis inspiré des deux. Admire le résultat !
Époustouflant, n’est-ce pas ?
Bien évidemment, c’est réciproque. Le dôme-est empêche les rayons des objets célestes situés aux mêmes élévations et largeurs, mais autour de l’azimut 90°, d’atteindre le dôme-ouest.
Non, oui, mais non !
Oublierais-tu que je suis dans ta tête ? Je connais tes pensées :
Tu n’as pas complètement tort.
Oui, bien que l’hémisphère céleste du nadir soit représenté sur son sol, ce sont bien les objets de celui du zénith qui irradient le dôme-ouest. La magie a des limites, même ici et malgré cette configuration astrale exceptionnelle.
Mais non, il ne me suffirait pas de me rendre dans la salle de l’Oracle. Effectivement, le dôme-est n’y masque pas les objets célestes situés à l’ouest, mais je t’ai déjà parlé de l’importance des noms. Les mots sont importants, ils ne sont pas interchangeables. Quant aux noms, ce sont les clefs qui ouvrent les possibles.
Or moi, les oracles ne m’intéressent pas. Connaître le futur, c’est comme lire un livre dont on a déjà lu la fin. Certains le font, me diras-tu. Je ne dis pas que c’est sans intérêt, je dis que cela ne m’intéresse pas.
J’ajoute que la connaissance d’un futur inéluctable quoique improbable est totalement inutile. Tu te souviens du dire de Dana ?
Nul ne peut changer le futur, toute tentative qui semble avoir réussi a en réalité créé un point de divergence faisant naître un nouveau monde, ou plusieurs. Le futur du monde d’origine est inéluctable.
Un oracle est la conséquence d’une infinité de paramètres. Que tous soient identiques – qu’aucun ne varie de ton fait ou de celui d’une autre créature, voire d’un événement fortuit – dans un autre des innombrables mondes qui existeront quand il se réalisera dans celui où il est inéluctable est hautement improbable.
Alors que pour atteindre mon objectif, je dois pratiquer des incantations.
J’aurais sans doute dû commencer par répondre à ta première remarque, mais cela aurait coupé court à notre passionnante discussion. Non, je n’ai aucun besoin de changer de Dôme, car s’il se couche bien à l’horizon, le soleil ne se couche à l’ouest qu’aux équinoxes. Quoique à l’ouest, oui, mais à l’équateur. Parce qu’à la latitude d’Alastyn c’est au-delà de l’azimut 271°, mais je ne chipoterais pas pour moins de 2°.
Tu sais qu’en raison de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre par rapport à l’écliptique, du solstice d’hiver au solstice d’été, le soleil se lève et se couche chaque jour plus au nord que la veille ; et du solstice d’été au solstice d’hiver, chaque jour plus au sud que la veille.
Aujourd’hui, la course du soleil l’a amené derrière le Dôme-ouest à 16 h 32 min, il réapparaîtra de l’autre côté à 18 h 17 min, c’est-à-dire dans quelques secondes.
Attention à mon claquement de doigts…
Oups, j’en suis dépourvu ! Ce qui n’a pas arrêté la rotation de la planète.
Les rayons du soleil frappent à nouveau le dôme-est et cela jusqu’à ce qu’il disparaisse complètement derrière l’horizon à moins de 4° du nord-ouest quelques secondes après 20 h 21 min.
Regarde :
Tu te rappelles qu’aujourd’hui les planètes alignées le suivent de plus d’une heure à moins de deux.
Je m’aperçois que je t’entretiens depuis un certain temps de salles dont j’ai omis de t’informer des particularités. L’une comme l’autre sise sous un dôme est semblable à un cylindre creux posé verticalement sur le sol, elles sont dépourvues de plafond et de porte. Leur mur circulaire est prodigieux, bien qu’il soit opaque, il n’entrave en rien l’observation – par ceux qui se trouvent à l’extérieur – de la représentation du ciel située à l’intérieur de la salle ni même sous lui.
Ah oui, je dois te dire que si les personnes accréditées à se déplacer par “téléportation” – j’ai trouvé ce mot dans ta mémoire, associé à “Star Trek” et en cherchant plus profondément, aux Ā d’Alfred E. van Vogt – le font en appliquant la main sur le sigle adéquat ; il est absolument hors de question que je me dresse sur les postérieurs pour appliquer les orteils d’une de mes pattes avant à l’endroit voulu. Il me suffit donc de la souhaiter pour me “téléporter”.
Fort de l’autorisation d’accéder à certaines parties du palais, que Liam et Anthéon m’ont accordée, je me téléporte donc dans la salle des incantations.
Me voici dans le sein des seins, comme dirait Chandra. Trêve de plaisanteries, qui eut cru qu’être si près de la réussite me survolte au point de faire resurgir un trait de caractère de mon trevingitisaïeul, Sköll. Pas toi, j’espère.
Je suis donc au centre de la salle des incantations, sous les rayons concentrés du Soleil, de Véga, Deneb, Arcturus, Spica, Capella, et une infinité d’autres étoiles de magnitude apparente plus faible, dont certaines sont déjà éteintes et d’autres ont explosé en supernova – tu auras peut-être l’occasion d’assister à l’une d’elles.
Finissons-en avec les questions que tu te poses, car je ne pourrai plus te prêter attention ensuite.
Le fait que des étoiles n’existent plus ne diminue en rien l’intérêt de leurs rayonnements qui frappent le dôme aujourd’hui.
Quel est l’intérêt de l’alignement ? Puisque le dôme fait converger les rayons vers le même point, où que se trouvent leurs origines. Eh bien ! les planètes émettent des rayons, mais elles réfléchissent également une part de ceux qu’elles reçoivent. Lors d’un alignement, les multiples réflexions réciproques forment une combinaison unique.
Voilà, tu sais tout. Observe et toi, ne réfléchis pas ! fait comme d’hab quoi ! Ça me reprend ! L’heure n’est pas aux sarcasmes, mais à la concentration. La moindre erreur pourrait provoquer une catastrophe, voire m’être fatale.
L’insémination d’une femme qui vient d’ovuler est la condition sine qua non d’une fécondation, mais elle ne saurait la garantir. J’ai donc conçu une incantation complexe, pour assurer la conception d’êtres exceptionnels dotés de grands pouvoirs, sans laquelle ils ne verraient pas le jour – comme la jeune Lumineuse promise à Eileen et à Liam. J’y ai ajouté quelques éléments dans un dessein plus personnel.
Il existe différentes manières d’incanter : les Lumineux font brasiller les arabesques de leurs bras, mais la nature ne m’en a point pourvu. D’autres dessinent de leurs doigts des glyphes dans l’air, mais comme je te l’ai précédemment fait remarquer, les miens ne sont pas adaptés à cet usage. La plupart des mages les chantonnent, c’est mon cas. Comme mon appareil phonatoire est loin de me permettre d’émettre une variété de sons aussi riche que le tien, je suis contraint de composer mes incantations avec un nombre très restreint de phonèmes qu’après préparation, je puisse émettre.
Tout autre jour, je n’essaierais même pas et aujourd’hui hors de ce lieu, je ne m’y risquerais pas plus. Mais je sens l’énergie qui se déverse en moi alors que les planètes sont encore masquées. Je vais donc m’exercer à vocaliser sept sons, dont deux proches du hurlement.
Une ode à l’enfantement qui ne comporte que sept mores différentes paraît très simple, mais très répétitive, elle en comprend cent quatre-vingt-cinq au total, avec des variations qui mal placées… ?
Je vais travailler ces mores successivement, je prendrais garde de ne jamais enchaîner de sons dont l’association pourrait déclencher une réponse magique…
☀♀♂♄☿
Un altocumulonimbus s’est formé au zénith, il masque quelques étoiles, mais aucune de celle dont le rayonnement m’est indispensable. Je maîtrise maintenant suffisamment bien les mores.
Le Soleil, Vénus, Mars, Saturne et Mercure baignent le dôme de leurs rayons, l’énergie s’accumule en moi. Jupiter va se joindre à eux dans un instant. C’est le moment que j’ai choisi pour psalmodier mon
Le soleil est couché.
 
 
 
 
 




***
    ou 
***
Notes de celui que Chandra nomme Bhediya :
1) Dans ton monde, cette constellation se nomme « les Gémeaux. »
2) Dans ton monde, cette constellation se nomme « la Petite Ourse. »
3) Dans cet univers divergent, le sens de rotation de Vénus ne s’est pas inversé comme il le fit dans le tien.
Bien entendu, Chandra n’a pas prononcé les mots Soleil, Lune, etc. pour nommer les astres de notre système solaire, je les ai substitués dans ton esprit aux Sol, Mani, etc. – de même que je te les fais lire sur le sol, alors qu’ils n’y sont pas écrits – pour te faciliter la compréhension du discours.
4) À l’échelle de l’univers (le temps et l’espace sont des notions indissociables).
5) Dans ton monde, le Taj Mahal est vanté pour sa symétrie. Pourtant, son dôme – probablement inspiré par le récit qu’aura fait Chandra de son séjour ici – quel que soit l’angle sous lequel on l’étudie, même si cela ne se voit pas à l’œil nu, il ne l’est jamais.
Pour toi qui n’as pas lu « Les 13 Merveilles du Monde » :
Les deux pièces sises sous les dômes se trouvent au-dessus du hall du palais, lequel est profond de vingt-six toises, large de cinquante-sept toises et deux pieds et haut de quinze toises.
Séparées par une cloison dépourvue d’ouverture, elles sont de même profondeur que la sienne. Chacune est large de vingt-huit toises deux coudées et trois pouces*, toutes deux sont hautes de deux toises et trois coudées.
La salle des incantations est implantée au centre de celle de l’est, exactement sous le dôme. Circulaire, le diamètre extérieur de son mur – haut d’une toise et deux coudées – est de neuf toises. Il en est de même pour la salle de l’oracle dans celle de l’ouest.
Au nombre de six, les espaces d’accueil, de six toises de côté, dont les cloisons sont constituées de bacs emplis de terre d’où s’élèvent des treillages de quatorze toises de haut, sur lesquels sont palissés de rosiers, clématites, jasmins, chèvrefeuilles, glycines et vignes vierges. Ils sont répartis sur les mille quatre cent quatre-vingt-dix toises carrées (plus d’une acre) du hall.
6) Ceann-cinnidh (cinn-cinnidh) ➢ chef de clan (chefs de clan) – Gaélique écossais.
*) Calcule l’épaisseur du mur toi-même.

***
    ou 

2 commentaires:

  1. C'est argent massif (caroline) ==> mon Dieu mais tu es passionné par ça ! j'ai eu la curiosité (et le courage !) de lire ce chapitre interactif mais je suis surtout bluffé par ton inventivité ! quel créatif ! c'est sûr, c'est plus sympa comme cela ! néanmoins j'aime autant les chapitre basiques, juste pour l'amour des mots et le bonheur d'une balade contée dans les méandres de ton imagination !

    RépondreSupprimer