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25 mai 2021

5 - Ricochets

User de magie provoque
à la surface de son continuum,
une encyclie, parfois des ricochets.
 
Niall

À l’aide d’un oreiller, je fus contraint de mettre fin aux terreurs de mon inquisiteur et ami, qui hurlait des insanités à qui voulait l’entendre. Puis je fis venir un autre de mes gardes afin – avec celui que le mire avait chargé de veiller sur la porte de l’infirmerie – de transporter le corps, ficelé sur une civière, sur mon navire.
Là, je les conviais ainsi que le mire à prendre un verre dans ma cabine. Le regard de ce dernier exprimait clairement qu’il savait, je l’encourageais d’un sourire.
Jamais il n’aurait osé protester. La ciguë est un choix qui évite bien des tourments, aussi but-il comme les autres. Ma légitime colère n’était pas apaisée. Je me saisis du poignard qui traînait sur mon bureau, et le plongeait dans le cœur de l’un des soldats. Je l’arrachais en tournant d’un quart de tour, puis m’en servis pour trancher la gorge de l’archiatre et en larder de coups le corps du second garde où je l’abandonnais, avant de passer Martô par le fil de mon épée. Soulagé, je montais sur le pont houspiller l’équipage jusqu’à l’heure du coucher.
Ce matin, un détachement alastynois se présenta à la coupée, le capitaine qui le commandait fut autorisé à monter à bord. Je l’invitais à me rejoindre sur la dunette.
Il m’informa que j’étais prié à me rendre au palais, le roi ayant une importante communication à faire. Il précisa que tous les membres de la délégation devaient s’y rendre et que les marins devaient, eux, se présenter à la capitainerie.
Il répondit à mes véhémentes protestations que cette mesure concernait toutes les délégations, qu’il avait ordre de faire visiter chaque vaisseau par ses hommes ; que si je le désirais, les marins pouvaient aller à la capitainerie en deux groupes successifs, que cet arrangement ne concernait qu’eux et impliquait deux inspections du bateau !
En narrant à l’officier qu’en pleine crise de démence Martô s’était emparé du poignard d’un garde, qu’il l’avait assassiné ainsi que le mire et un second soldat qui essayaient de le maîtriser, que je dus moi-même mettre fin à ses jours lorsqu’il se jeta sur moi pour me trucider, je compris que c’était Dieu qui m’avait inspiré la veille.
Lorsque je vis le froncement de sourcils du capitaine, je m’empressais d’ajouter :
« Si ce garde portait un poignard, c’est qu’affecté à la surveillance du navire, il n’avait jamais mis pied à terre. C’est d’ailleurs parce qu’à son exception, nous étions désarmés que le forcené pût faire un tel carnage avant que je parvienne à récupérer, dans mon coffre, l’épée qui me permit de défendre ma vie ».
C’est rasséréné que le capitaine me présenta ses condoléances.
Je me rendis au palais, accompagné par l’officier et suivi d’une partie de son détachement et de mes sujets.
J’étais à peine arrivé dans le hall que j’aperçus la baronne Martô qui, entourée de mécréants, faisait preuve d’une indécente joie de vivre. J’envoyais deux gardes la quérir, et me rendis dans notre espace d’accueil où l’on me l’amena.
« Baronne, j’ai le regret de vous annoncer la mort de votre frère. La folie l’a emporté, lui annonçais-je ex abrupto afin de la faire redescendre du nuage sur lequel elle semblait planer.
— Ah ! laissa-t-elle échapper.
— Réveillez-vous, baronne ! Je vous veux à mes côtés lorsqu’en votre nom, je réclamerai que justice nous soit rendue pour la mort de votre bien-aimé frère. Le loup et son comparse doivent être châtiés !
— Mais, despote, Chandra nous av…
— Si ! Ils sont coupables, je ne veux plus vous entendre que pour approuver mes revendications. C’est bien compris, baronne !
— …
— D’ailleurs où sont-ils ? Je ne vois ni l’un ni l’autre ! »
Je sors de notre espace réservé, cherche du regard dans la populace assemblée.
« Si, voici le complice, cet étranger dépravé. Le loup ne doit pas être loin.
— LE ROI, clame le héraut ».
 
चन्द्र

J’ai cherché dans les draps, sous le lit, sur le sol de toute la suite d’Aubierge. Je ne retrouve pas ma larme. L’ai-je perdue au cours de cette nuit agitée ? l’a-t-elle trouvée et rangée dans un endroit que je n’ose fouiller ?
« Garde-le toujours sur toi, ne le confie à personne. J’en dépérirais. » Comme un raz-de-marée, la supplique m’envahit la tête, balayant toutes autres pensées. La voix espiègle qui avait pris un ton grave résonne à mes oreilles, « NE LE CONFIE À PERSONNE, J’EN DÉPÉRIRAIS ». Il me faut absolument retrouver le joyau, c’est vital.
Demander à Aubierge si elle l’a vu. Excellente idée. Mais où est Aubierge ?
J’enfile mon pajama, commence à enrouler Gleipnir autour de ma taille…
♪♫♪ « Bonjour ! je suis un serviteur du palais, puis-je entrer ?
— Bien sûr », consens-je en enfilant mes bottes.
La porte s’ouvre.
« Je suis désolé de vous déranger, mais tous nos hôtes sont invités à se réunir à dix heures auprès du bassin qui se trouve au milieu du hall. Notre roi a une très importante communication à vous faire.
— J’y serai ! Sauriez-vous où se trouve la Baronne Martô ? m’enquiers-je.
— Non, prince. Mais dans un quart d’heure, elle sera dans le hall comme vous.
— Merci, de votre aide, réponds-je sans sarcasme.
— De rien, bonne journée, prince », conclut l’homme en sortant.
Je ne tarde pas à faire de même. Je dévale les escaliers quatre à quatre, « kamabakht seedhiyaan !1 » J’ai failli en rater une. Elles sont trop hautes pour que je continue à cette vitesse, me tordre le cou n’arrangera rien.
Je reprends ma descente, à une vitesse plus raisonnable, jusqu’au hall.
Quelle foule ! Je la parcours du regard à la recherche d’Aubierge et accessoirement de Bhediya, je n’aperçois aucun des deux. Je repère un groupe, composé des trois druidesses et d’un homme dont je n’ai pas mémorisé le nom, qui s’approche du bassin. Un deuxième homme les rejoint avant moi, il embrasse tendrement la Bandrui, faisant s’écarquiller les yeux des guerrières. Tiens, un intime ! Pourtant je suis sûr qu’il n’était pas présent au banquet. Athlétique, plus grand qu’Aífe, il dépasse la toise ; peau aussi pâle que celle de Scáthach, mâchoire carrée et volontaire, cheveux d’ébène hirsutes et d’étonnants yeux améthyste, il ne passe pas inaperçu. Son attitude est martiale, sûrement un chef de guerre.
« Namasté ! dis-je en m’inclinant face à Maebd, les paumes jointes devant le chakra du cœur.
— Bonjour Chandra !
— Namasté ! salué-je Scáthach.
— Avez-vous passé une bonne nuit Chandra ? me demande-t-elle moqueuse.
— Oui, Scáthach, merci », réponds-je, intrigué, avant de rendre hommage à sa sœur d’un namasté.
« Namasté !
— Vous m’avez manqué, Chandra », me lance Aífe avant de m’embrasser comme hier.
C’est encore confus, que je salue le premier homme en énonçant :
« Namasté !
— Ça, c’est Eòganán le traître », crache Scáthach. Lequel esquisse un sourire désolé en levant les yeux au ciel, avant de me souhaiter une bonne journée.
« Appelez-moi Menskr ! » se présente le second, alors que je me tourne vers lui.
Pourquoi ai-je l’impression qu’il s’adresse à tous ? D’où me vient la certitude que ce nom signifie "humain" ? Son ton est-il teinté d’ironie ? Fi de ces questions. La seule qui m’intéresse est…
« Avez-vous vu la baronne Martô ? » lancé-je à la cantonade, après avoir adressé un namasté muet à ce Menskr.
Pourquoi ma question provoque-t-elle des regards incrédules suivis de ricanements ?
« Anaṅga, oui ! nous l’avons vue, comment ne pas la voir ? Elle a traversé ce hall, radieuse, en exhibant aux yeux de tous votre présent ! m’annonce Maebd. Si ces chères… »
La Bandrui continue de parler, mais je ne l’entends plus. Quel présent ? Je ne lui ai fait d’autre présent que moi. Non, je ne peux lui avoir offert la briolette !
« Quel présent ? m’inquiété-je.
— Le diamant qu’elle porte à l’oreille ! » affirment les sœurs en chœur.
Par la Trimūrti2 ! Le lui ai-je donné ? Peu importe, aussi inélégant que ce puisse être, je dois impérativement récupérer la goutte de Vasikari.
« Où est-elle ? Où puis-je la trouver ?
— Malheureusement, Chandra, les gardes du despote sont venus la chercher, et l’ont emmenée auprès de lui. À l’aune de ce qu’il a dit de vous au cours du banquet, je vous déconseille de lui donner l’opportunité de découvrir ce qui s’est passé entre la baronne et vous. S’il venait à le soupçonner, il ferait tout son possible pour vous détruire et nul ne sait comment il châtierait la baronne. »
Les autres acquiescent unanimement.
Bon ! je n’ai guère le choix, je vais patienter. Mais où est Bhediya ? Il pourrait m’être d’un grand secours.
« LE ROI, clame le héraut ».
Je regarde vers l’espace d’accueil que Maebd avait désigné des yeux lors de son explication.
Je les en vois sortir, les doigts de Niall sont crochés telles des serres sur le bras d’Aubierge, juste au-dessus du coude. Cinq gardes les escortent, bien que non armés ils sont loin de paraître inoffensifs. Mon regard les accompagne jusqu’au bassin où se matérialise une passerelle de cristal qui enjambe le plan d’eau. Le roi Liam avance vers elle et gravit ce qui se révèle être une tribune. Il est seul, tous attendent sa déclaration.
« Veuillez excuser Eileen, elle nous rejoindra dans quelques instants. Mes amis ! Vous, hommes et femmes, qui êtes ici pour former une alliance contre un ennemi venu d’ailleurs ; et vous qui avez poursuivi ces ennemis à travers les mondes pour les combattre ; vous serez heureux d’apprendre que ce matin entre six et sept heures, nos patrouilles ont découvert les cadavres des Orcs de toutes leurs bandes recensées en Alastyn. »
Un moment de satisfaction saisit l’auditoire, on entend quelques manifestations de joie. Les serviteurs disposent des bols sur les tables.
« S’il vous plaît, dit Liam d’une voix puissante. J’ai dit que nos hommes avaient découvert leurs cadavres. Pas que nos soldats les avaient tués. Tous étaient couverts de papules bleues. »
Cette fois, c’est un murmure consterné qui parcourt l’assemblée, les mots maladie bleue courent de bouche en bouche.
« Oui, la maladie bleue ! Elle a balayé les Orcs en quelques heures. Je pense pouvoir annoncer qu’il en est de même dans le royaume de Shay et dans An t-Eilean Sgitheanach.
— C’est quoi cette maladie bleue ? s’inquiète la princesse Grüchka.
— C’est une maladie très contagieuse, elle est souvent mortelle en particulier pour les enfants impubères. On la nomme ainsi, car l’un des symptômes est l’apparition de taches bleues sur le corps », lui expose le duc Mael.
La princesse a basculé la tête en arrière pour littéralement boire les paroles de son géant voisin. Qu’y a-t-il dans ces mots qui la rendent béate ?
« Mais ! Cette partie du monde n’a jamais subi cette infection, c’est l’une des raisons qui nous ont poussés à nous y installer », intervient Niall.
D’affirmative au début de son intervention, sa voix s’est progressivement teintée de doutes.
C’est Eileen qui les lève, tandis qu’elle rejoint son mari sur la tribune :
« Despote, cette idée est probablement née dans l’esprit des peuples du lointain est, parce qu’il y a plus d’un siècle que cette épidémie n’a pas frappée nos territoires ! Mais nous avons été affectés auparavant. Sinon, nous ne saurions pas la juguler ! Nos guérisseuses, herboristes et druidesses, se transmettent depuis des générations les secrets des potions prévenant la maladie, freinant ainsi sa progression. Nous allons servir à chacun un bol de l’infusion que viennent de préparer celles du palais. »
Nombreux sont ceux qui s’approchent des tables où les serveurs s’emploient à remplir les bols et les tendre à ceux qui en réclament.
« Vous ne trouvez pas cela curieux ? s’exclame Niall d’une voix de stentor. Depuis plus de cent ans, la maladie bleue n’a pas ravagé ces terres, et c’est quand arrivent chez nous ces créatures venues d’on ne sait où que cette affliction nous fra…
— Despote ! s’écrie le roi.
— …ppe ! Non ! Liam, vous ne me ferez pas taire, comme hier ! Tous ont le droit de savoir ! C’est la juste colère du Très Puissant qui nous envoie ce fléau. »
Eileen pose la main sur le bras de Liam, et s’exprime en leur nom à tous deux.
— Allez-y, despote, crachez votre venin, mais nous vous répondrons point par point.
— SORCELLERIE ! Que Dieu en soit témoin, de la sorcellerie est en œuvre ici ! Avec ces monstruosités qu’elles appellent Orcs sont arrivées de soi-disant princesses dont l’une, ainsi que ses congénères, est affublée d’oreilles aussi pointues et mobiles que celles des chauves-souris – créatures démoniaques comme chacun le sait – et l’autre est une nabote qui dit elle-même que les siens vivent sous terre. »
J’aperçois Ardril qui retient Mael qui fulmine. Niall s’interrompt le temps de boire le contenu de l’un des bols que l’un de ses gardes est allé chercher pour lui et la baronne.
« Parlons de ce prétendu prince ! enchaîne-t-il en me défiant du regard. Il prétend, lui aussi, venir d’un autre monde. Tout bon croyant sait qu’il n’existe qu’un seul autre monde, celui du malin. D’un bout à l’autre du royaume de Shay, il a dévoyé nos sœurs, entraîné nos filles dans la débauche et nos femmes dans l’adultère. »
Je ne peux retenir un sourire, c’est avec rage qu’il poursuit :
« Dois-je ajouter qu’il est accompagné d’un terrifiant animal que je soupçonne d’être le gardien des enfers ? D’ailleurs, où est-il, ce monstre ? »
Bhediya, qui – bien qu’il ne m’en ait point avisé – devait écouter à travers moi ce qui se disait dans ce hall, me transmet instantanément : dis-lui que je suis dans la forêt en quête de nourriture.
Un curieux courant d’air traverse le hall du centre de celui-ci vers les quatre portails grands ouverts. On dirait un soupir. Quelle drôle d’idée !
« Il est en forêt, il chasse, réponds-je.
— N’ajoutez rien, despote. Nous avons admis hier qu’il se nourrit de chair fraîche, ajoute Maebd.
— Au nom de la baronne Martô, je demande réparation de l’assassinat de son frère par ce démon ! Voyez la mine défaite et le teint pâle de la pauvrette. Elle est sans voix depuis que je l’ai informée du drame. Liam, Eileen ! Si nous n’étions dans vos terres, j’écorcherais moi-même la bête pour lui faire payer la mort de l’inquisiteur et celles de mon mire et de deux gardes, qui toutes me déchirent le cœur. »
 
Aubierge

« Despote, le capitaine Durcáin m’a fait part du drame que vous lui avez rapporté. Si j’en crois le récit qu’il m’a fait, c’est sur votre navire que le défunt inquisiteur aurait réussi à s’emparer de l’arme de l’un de vos gardes, lequel aurait été incapable, non seulement de l’en empêcher, mais également de se soustraire à ses coups. Ainsi qu’un second garde et votre archiatre. Vous-même n’auriez dû votre salut qu’à l'épée rangée dans votre coffre, avec laquelle vous auriez été contraint de lui ôter la vie ! » résume Liam.
Je sens la tension monter en Niall, il ne me lâche pas.
« Mettriez-vous ma parole en doute ? s’insurge-t-il.
— Non point. Le roi et moi pensions que le capitaine avait mal compris, nous n’imaginions pas que le frêle inquisiteur puisse vaincre deux de vos gardes », glisse Eileen.
Dans les clans picto-Scots, on s’esclaffe bruyamment, les nôtres protestent entre leurs dents.
« Ce n’était plus mon estimé ami, c’était un incontrôlable dément vociférant des insanités !
— Des mots seraient responsables de ce massacre ? demande Maebd.
— Non ! C’est cet horrible loup le responsable, rétorque dédaigneusement le despote.
— Mais il n’était pas sur votre navire, il ne s’est jeté sur personne ? interroge Liam.
— Non, évidemment, mais sans préavis, ce malfaisant a détruit le cerveau de Martô.
— Ne serait-ce pas à votre insistante demande ? Non ! ne répondez pas ! Que l’on nous apporte la minute du banquet ! »
Après un lourd silence – que le despote tente à plusieurs reprises d’interrompre, mais chaque fois Liam l’en empêche d’un geste –, un scribe accourt, chargé d’un rouleau qu’il tend au roi en lui indiquant un passage du texte. Liam lit à haute voix :
« NIALL (à Chandra) — Pourquoi, devrions-nous passer par votre intermédiaire pour nous adresser à un loup ? Si vraiment il ne s’agit pas d’une mystification, si vraiment il est intelligent, si vraiment il peut communiquer, si vraiment il a quelque chose à nous dire, qu’il le fasse directement avec nous !
CHANDRA — Votre Seigneurie, dois-je vous rappeler que certains ne peuvent supporter le contact de son esprit sans verser dans la folie ? Pensez-vous qu’il soit raisonnable de risquer la santé mentale des dirigeants de cinq nations, dont vous-même ?
NIALL — Majesté, l’inquisiteur Martô a déjà résisté aux malédictions de nombreuses sorcières !
CHANDRA — Majesté, Votre Seigneurie, Bhediya tentera de communiquer avec le dénommé Martô, mais il tient à vous rappeler le risque que court ce dernier.
NIALL (avec autorité) — Que le loup s’exécute !
Ce sont vos mots et ceux de Chandra, le nieriez-vous ? »
Chandra me regarde, je suis tentée de dégager mon oreille pour qu’il contemple ma rapine. Que se passerait-il si Niall la voyait ? La façon dont il me tient prisonnière m’en dissuade.
« Il nous a piégés. C’est volontairement qu’il a transformé un homme pieux, en dangereux fou furieux !
— Moi, j’ai souvenir d’un homme terrorisé, qui vous fuyait, rappelle Eileen.
— Effectivement, Martô a traversé une phase de terreur absolue, mais son état a évolué, il est devenu enragé pendant son séjour à l’infirmerie, c’est pour éviter qu’il ne blesse l’un des vôtres que nous l’avons rapatrié sur mon vaisseau.
— Contrairement à vos affirmations, il est évident que Bhediya n’a aucune responsabilité dans la mort de ces hommes, assure la reine. Vous avez également vilipendé certains de nos hôtes et les avez accusés d’être responsables de la propagation de la maladie bleue. Dites-moi, despote, là où vivaient vos ancêtres, les hommes étaient-ils pieux ? »
Les doigts de mon tortionnaire écrasent de plus en plus mon bras gauche, s’il continue, il va me briser l’os. J’essaie de me dégager, il affermit sa prise, mais diminue la pression.
« Oui, évidemment ! admet-il.
— Y avait-il dans ces terres, des créatures aux oreilles de chauves-souris ? Des nabots vivants sous terre ? Ou des êtres dont certaines parties du corps flamboient occasionnellement ; car je ne doute pas qu’à vos yeux nos particularités anatomiques font de nous des monstruosités. Pourquoi nous avoir épargnés ? Un soupçon de décence envers vos hôtes, ou la crainte de notre colère ? Peu importe, je vous le demande : y trouvait-on des aberrations telles que nos espèces ? poursuit-elle.
— Non, pas à ma connaissance. Nos chroniques pas plus que nos livres sacrés n’en décrivent.
— Et que disent ces chroniques sur la fréquence des épidémies de maladie bleue, en vos terres d’origine ?
— Elle sévissait régulièrement. Il ne s’est jamais passé plus de vingt ans avant que cette calamité ne vienne décimer nos hommes ainsi que nos femmes et exterminer nos enfants.
— J’en suis navrée, mais si je suis votre raisonnement, votre très puissant ne vous aime guère, pour que dans sa juste colère il vous envoie si couramment ce fléau. »
La rage gronde en lui, il va exploser.
Après un bref silence Eileen conclut :
« Admettez que cette maladie frappe aveuglément et que l’on ne peut en rendre responsable nos amis et alliés !
— Admettons, reconnaît-il du bout des lèvres. Puisque vous êtes nos amis, à qui dois-je envoyer mon représentant pour obtenir la recette de cette infusion salvatrice ? assène-t-il avec satisfaction.
— Cette infusion est essentiellement composée de plantes endémiques d’Alastyn. Elle ne vous serait d’aucune utilité. En Shannon comme dans tout le royaume de Shay, il y a des ban-draoidh à qui leurs anciennes ont transmis les recettes, je dis bien : les, car ce ne sont pas les mêmes à Erestia, Tulou ou Vulty. Mais elles sont aussi efficaces les unes que les autres », répond une Alastynoise qui veille sur les chaudrons de potion. Une herboriste ?
« Vous parlez des sorcières ? Comment pourrions-nous commercer avec des sorcières ?
— Appelez-les comme vous voulez, mais si la maladie a fait son apparition, elles sont déjà à l’œuvre auprès de celles et ceux qui ont besoin de leur aide, affirme Maebd.
— Puisque la menace Orc n’existe plus, nul n’a besoin d’alliances. Nous ferons voile vers Shannon, dès que nous aurons regagné notre caraque. Bandrui, il nous faut toujours contourner Shanyl pour rejoindre nos terres, j’espère que vous nous autoriserez à faire relâche en vos ports. »
La reine lit le désespoir dans mon regard, elle observe la coercition que Niall exerce sur moi.
« Despote, nous pourrions offrir l’hospitalité à la baronne le temps qu’elle se remette de la perte de son frère… »
Une lueur d’espoir, vite éteinte par le despote qui coupe la parole à Eileen.
« C’est généreux de votre part, majesté, mais la baronne a à cœur de soutenir ses parents – lorsqu’ils apprendront le décès de leur fils aîné – ainsi que son jeune frère, âgé d’à peine huit ans. Il ne faudrait pas que leur chagrin les incite à un geste malheureux. »
La menace est aussi claire, pour tous, comme pour moi. Eileen tente pourtant :
« Pourrais-je avoir un entretien privé avec elle ?
— Vous me prenez au dépourvu ! Je n’ai pas encore trouvé le temps d’en aviser la principale intéressée. Mais auriez-vous quelque chose à dire à ma future épouse que je ne puisse entendre ? »
Le monde s’écroule autour de moi, je défaille. En bloquant son avant-bras et son poignet, il me maintient debout. Je veux mourir ! Il l’a compris et me susurre :
« N’y pensez pas, votre famille vous suivrait ! »
 
भेड़िया alias Menskr

Oui, bon, arrête d’exulter ce n’est pas un exploit, non plus. Ce n’est pas parce que Chandra, qui m’appelle Bhediya, n’a pas compris quand je me suis présenté à lui sous le nom de Menskr, que c’était difficile à comprendre.
Ce n’est pas comme si dans un éclair de génie, tu m’avais reconnu en voyant une ravissante brune à la peau hâlée et aux yeux myosotis, se présenter sous le doux nom de Mareva. Attention pas habillée d’un paréo et d’une fleur de tiaré à l’oreille droite – cela t’aurait semblé trop étrange – mais vêtue à la mode shanyloise. Gageons que Maebd m’eut dans ce cas trouvé une tenue plus seyante que celle de guerrier, un peu juste pour moi, qu’elle me fit porter hier matin après avoir quitté sa chambre.
Pourquoi serait-ce impossible ? Dois-je te rappeler que Loki se transforma – entre autres – en jument, porta le fruit d’une saillie et mit bas ?
Son sang coule dans mes veines. D’ailleurs, quand je me mire dans l’eau du bassin… Tu ne l’as pas connu, mais crois-moi, c’est évident.
Comment ça, je ne sais pas plus que toi à quoi il ressemblait ?
Ah ! Je ne t’ai pas dit ? Sous cette forme, une porte s’est ouverte. Mémoire génétique ou vanité ?
Mais pourquoi suis-je en train de discuter avec toi
Je suis allongé nu sur le lit, je regarde le plafond. Tu ne peux pas concevoir comme c’est étrange de contempler un plafond. Mon esprit vagabonde, je pense à ce qui s’est produit depuis ma métamorphose, avant-hier. Contre ma hanche, le bas du dos de Maebd bouge légèrement. Heureusement que je suis sur le dos, non pas contre le sien. Je n’aurais pas dû avoir cette pensée…
Maebd est au bain. T’es encore là,  ! Tu n’as pas regardé, au moins ?
Je plaisante ! tu ne sais de moi que ce que je t’en dis. Parmi les nombreuses créatures dans le cerveau desquelles j’ai une tanière, tu es celle que je préfère. Alors, je vais tenter de répondre à tes questions.
Oui, j’aurais pu me transformer en femme, mais je ne pense pas que j’aurais pu garder cette forme suffisamment longtemps pour mener à bien mon projet.
Hé ! Que d’informations !
Mon changement n’est pas définitif. Je ne sais pas combien de temps je resterais incarné en humain. Cette transmutation n’est pas mon objectif, ce n’est qu’un moyen. Atteindre mon but m’aurait demandé plus de temps dans un corps féminin que dans une enveloppe masculine.
Cinq infos en une phrase ! Quand je pense que certains prétendent que je parle pour ne rien dire. Le pire, c’est que sous cette forme, je ne peux pas leur faire remarquer qu’ils affabulent, car j’en ai la faculté.
Si, si, cinq ! La cinquième est implicite dans l’exposé de la quatrième.
De plus, il y a bien des années, le rôle de Maebd fut annoncé.
Souviens-toi de ce jour de la Subhachas Imbolg  à Bealach na Sgairde, ton mhaighstir a dit : « tu es maintenant une fàidh, qu’une grande destinée attend ». Cela ne t’est pas réellement arrivé. Je t’ai implanté un souvenir de Maebd.
Autre question ?
Ah ! Oui, bien sûr. Non, je ne me transformerai pas en homme à chaque pleine lune, je ne suis pas un humain-garou ! Je suis le descendant de Loki, fils d’un Jötunn et d’une Asyne.
Je t’ai parlé de mémoire génétique. Je n’évoquais pas celle des œuvres de fiction, permettant l’accès aux connaissances de ses ancêtres. Je faisais référence à celle des gènes.
Fenrir a transmis tous les gènes de Loki à Sköll, qui les a légués à Sigr, ainsi de suite jusqu’à moi.
Ne me demande pas pourquoi et comment. Quoique, si pour le comment – dont je me soucie comme de ma première mue – je n’en ai aucune idée, en revanche j’en aie une assez précise du pourquoi.
Même si cela me permet ce moment, ce n’était sûrement pas son objectif. Évidemment, ses gènes ont permis cette métamorphose, mais il fallut également une configuration astrale exceptionnelle, ajoutée à un lieu extraordinaire ; et enfin ma modestie dut-elle en souffrir – ne fais pas de commentaire –, une incantation prodigieuse.
Je soupçonne mon ancêtre, feu la divinité, d’avoir envisagé sa réincarnation à l’identique. Quand ? Comment ? Pourquoi ? Trois questions que je ne me pose pas. Ce qui ne m’a pas empêché de prendre certaines dispositions destinées à lui interdire de dévoyer mon projet à son profit.
Plus de questions ?
Non ! Alors, je te résume :
À la fin du decrescendo de ma seconde incantation, sous la forme de Bhediya je disparus de la salle des incantations. Au même instant, j’apparus sous la forme de Menskr devant la porte de la suite de Maebd. Fort heureusement, à cette heure pas si tardive que cela, personne ne m’a vu, hormis Maebd quand elle m’a ouvert sa porte. Bien qu’elle m’attende, imagine sa surprise.
Elle m’attendait, mais elle ne savait pas à quoi s’attendre, sûrement pas à un homme nu. Elle mit plusieurs secondes avant de réaliser. Puis son sourire s’épanouit, ses yeux pétillèrent et elle me fit entrer…
Après avoir longuement échangé, nous nous endormîmes.
Pardon, après avoir longuement parlé, je n’ai pas l’habitude, mais je parle. Bien entendu, pour toi, ça ne change rien, vu que tu ne peux m’entendre.
Hier, nous fûmes éveillés par un serviteur du palais qui nous invita à nous rendre, à dix heures, auprès du bassin qui se trouve au milieu du hall. Liam ayant une communication à faire. Maebd s’y rendit seule, me demandant de la rejoindre dès que l’on m’aurait apporté des vêtements. Figure-toi que quelques minutes plus tard, sa camériste – aussi à l’aise que s’il n’y avait pas un inconnu nu dans la chambre de Maebd – m’aida à enfiler un uniforme d’officier shanylois, de la plus grande taille existante.
Oui, je sais le mot “enfiler” est, normalement, peu approprié, mais en l’occurrence c’est celui qui l’est le plus. Ce qui fit dire à la soubrette avec un sourire coquin :
« Cette tenue vous met en valeur monseigneur, la Bandrui va faire des jalouses, avant d’ajouter. Les couturières sont, elles aussi, conviées à la communication du roi. Dès que celle-ci sera terminée, je vous ferai confectionner des vêtements à votre taille. J’ai toutes vos mesures dans l’œil. »
C’est donc ainsi vêtu que je me rendis dans le hall. Celle que je cherchais du regard était en conversation avec ses amies druidesses. Je les rejoignis et embrassais passionnément Maebd. Un long silence s’ensuivit, la Bandrui riait sous cape, Scáthach et Aífe m’évaluaient comme deux maquignonnes en paillardises, leur compagnon était ravi de ne plus être le centre d’intérêt.
Sur ces entrefaites arriva un Chandra tellement perturbé que je pus me permettre de me présenter sous le nom de Menskr, facétie sans conséquence.
Bon, je croyais que tu n’avais plus de questions, mais elles se bousculent. Tant pis pour le cours de mes pensées.
Non, je n’ai pu ni lui révéler mon identité ni communiquer avec lui, hormis un très bref message destiner à expliquer mon absence.
Non, je ne lui ai pas soufflé la traduction de Menskr. Ce mot a été prononcé à plusieurs reprises pendant que je lui enseignais l’Edda.
Oublie un instant que ma présence dans ta tête a rendu mon existence familière, et essaie de te mettre dans la peau de n’importe qui. Pour l’instant, on va éviter Anthéon, j’ai, moi-même, du mal à imaginer son mode de pensée. Disons Liam par exemple : il s’est habitué à un loup télépathe, astronome et plus ou moins mage, qui lui a proposé son aide pour devenir père. De là à accepter que ladite créature se transforme en humain et batifole avec la Bandrui de Shanyl, il y a un pas de jötunn. Que dis-je ? Un parsec, pour le moins !
Je ne peux, pas plus que toi, prévoir comment les humains, pur jus, réagiraient. Ce n’est pas que je les craigne, car même si je suis plus vulnérable dans ce corps inadapté au combat, je peux en persuader un nombre suffisant de donner leur vie pour moi et griller le cerveau de beaucoup d’autres.
C’est leur réaction envers Maebd et notre futur enfant que je crains. Je n’ai pas réussi à contourner l’unicité de descendant, engendrer l’inconcevable, pour qu’il soit proscrit.
Évidemment, il en va autrement du Palais dont je n’aurais jamais imaginé que la part d’animalité soit si importante, avant qu’il ne la trahisse, lorsque je transmis à Chandra de répondre à Niall que je chassais en forêt. Pour une fois que le despote se rend utile, je me dois de le mentionner.
Le stress fait réagir les créatures d’étranges façons.
Chandra qui se demandait pourquoi je n’intervenais pas fut si soulagé d’avoir une explication susceptible de répondre à son sentiment d’abandon, qu’il ignora les mots « dis-lui que » dans mon message et la limite, de quinze toises, au-delà de laquelle je suis censé ne plus pouvoir communiquer avec lui.
Quant à Anthéon qui manifestement spéculait sur ce que j’étais devenu, il semble que percevoir mon influx télépathique suffit à le rasséréner, même s’il fut trop bref pour qu’il puisse me localiser. Ha ! Je comprends ses craintes. Heureusement que tu es là, sans ta mémoire, je n’aurais jamais cru qu’il puisse imaginer une chose pareille. Une telle abomination serait-elle possible ?
Revenons à Chandra, j’ai, bien sûr, discerné le désarroi, je comprends parfaitement son angoisse. Là encore, c’est moi qui ai implanté dans ta mémoire le souvenir de Vasikari qui – alors que tu étais Chandra – te perçait l’oreille et y attachait le pendentif. Mais je ne peux mettre mon projet en danger pour quoi que ce soit.
Ce matin, la devadâsî doit être loin de ses pensées. Car hier soir, prises de compassion pour le malheureux, plutôt que de se le disputer, les reines guerrières décidèrent de s’unir pour le consoler, pour lui “remonter le moral”. Honnis soit qui envisagerait que les sœurs puissent s’être gamahuchées.
Les Shannonnais ont pris la mer hier. Je ne doute pas que la baronne Martô soit partagée entre le remords d’avoir soustrait son diamant à un Chandra endormi, la consolation d’avoir un objet à chérir, et la crainte que le despote découvre le bijou et le détruise.
J’ai hâte de retrouver ma forme lupine ! Tu vas me prendre pour un goujat, mais tu as tort. Ce n’est pas qu’humain, je m’ennuie avec Maebd, elle est délicieuse, intelligente, experte en… tu ne comprendrais pas. Mais il est indispensable que Bhediya réapparaisse aux yeux de tous, afin que nous puissions quitter Alastyn et nous préoccuper de récupérer la briolette.
 
चन्द्र

Nous avons mis le cap vers Fiume à bord du navire que l’intendant de la comtesse Niamh avait affrété à ce port. Nous naviguons de conserve avec la caravelle de la marquise Teafa.
C’est fou quand j’y pense, nous avions entrepris un voyage de plus de six lunes. Partis du nord du royaume de Shay, nous avions emprunté les chemins longeant la côte est, jusqu’au sud du sous-continent septentrional, franchi le bras de mer qui le sépare du Méridional, traversé Shanyl d’est en ouest, vogué sur l’océan pour rejoindre Alastyn. Dans le seul but de permettre à Bhediya d’observer un évènement astronomique !
Rare, exceptionnel, extraordinaire, unique, il peut dire ce qu’il veut ; il n’en reste pas moins que vu du palais d’Alastyn ou d’ailleurs, visuellement, c’était d’un intérêt très limité. Rien de comparable au spectacle d’une éclipse.
Hier, après le déjeuner, les Sgitheanachs ont pris la mer pour leur île.
L’après-midi, je me promenais dans les jardins du palais devisant avec un auditoire essentiellement féminin, lorsque l’on me pria de narrer un récit de mon pays. Je choisis de leur traduire les ślokoṃ de Sambhava Parva3, qui relate la naissance des Kauravas :
« Comment :
– Lors du Sarpasatra, le brahmane Vaishampāyana conta au Mahārāja Janamejaya qu’à cette époque le rājā Dhṛtarāṣṭra – qui était aveugle – engendra par Gāndhārī une centaine de fils et un autre par une femme vaiśya en plus de cette centaine.
– Le rishi Dvaipāyana satisfait de l’hospitalité de Gāndhārī lui accorda la grâce qu’elle demandait, c’est-à-dire qu’elle aurait une centaine de fils tous égaux à leur père en force et en accomplissements.
– Après deux ans de grossesse, quand Gāndhārī entendit dire que Kuntī avait donné le jour à un fils égal en splendeur au soleil du matin, elle sortit de son ventre une masse de chair dure comme le fer.
– Avisé par son pouvoir psychique, le rishi – que l’on nommait aussi Vyāsa – se rendit auprès de Gāndhārī qui s’apprêtait à jeter la boule de chair.
– Il mit fin aux récriminations de Gāndhārī et lui demanda de quérir une centaine de pots de beurre clarifié ainsi que de baigner la boule de chair avec de l’eau claire.
– La boule de chair fut divisée en cent et une parts de la taille du pouce et mises dans chacun des pots de beurre clarifié, lesquels furent dissimulés et surveillés pendant deux années avant que Gāndhārī ne puisse en soulever les couvercles.
– Le hautain Duryodhana fut le premier à naître des embryons du globe de chair mis dans les pots.
– Dès sa naissance, Duryodhana se mit à crier et à braire comme un âne. Ânes, vautours, chacals et corbeaux lui répondirent ; les vents soufflèrent avec fureur et les plages du ciel parurent comme incendiées.
– Dhṛtarāṣṭra, dans sa grande frayeur, réunit ses sympathisants et alliés ainsi que de nombreux brahmanes et leur dit qu’il reconnaissait Yudhishthira, le fils de son frère Pāndu né deux ans auparavant, comme l’aîné des princes et héritier du trône. Mais il leur demanda quel serait le rôle de son fils qui venait de naître, serait-il rājā ? Il les pria de lui dire ce qui était juste.
– À ces mots, les chacals hurlèrent de sinistres augures et les autres carnivores se mirent à rugir de façon menaçante.
– En réaction à ces présages, brahmanes et sages lui conseillèrent d’abandonner cet enfant qui sans cela causerait la destruction de sa lignée. Ils soulignèrent qu’il lui resterait quatre-vingt-dix-neuf fils, espérant ainsi le consoler.
– Par affection pour son fils, Dhṛtarāṣṭra ne tint pas compte de l’avis de son demi-frère Vidura, de Bhīshma et de ses autres conseillers.
– L’espace d’un mois s’étant écoulé, il naquit à Dhṛtarāṣṭra une centaine entière de fils et une fille, par-dessus la centaine.
– Pendant la grossesse de Gāndhārī, une servante de la classe des vaiśyoṃ fut attentive aux besoins de Dhṛtarāṣṭra. Elle lui donna un fils doté d’une grande intelligence, nommé Yuyutsu. »
Lorsque j’eus terminé, on me pressa de questions :
Qui était cette Kuntī qui avait donné le jour à un enfant beau comme un lever de soleil ? Je répondis qu’il s’agissait d’une des deux épouses du Mahārāja Pāndu et que l’enfant ainsi décrit était Yudhishthira.
La marquise de Fiume, Teafa, me demanda, comme le fit Janamejaya à Vaishampāyana, qui était cette fille dont on ne faisait que mentionner la naissance. Je l’informais de cette coïncidence, et lui rapportait ce que le brahmane dit de Duḥśalā au Mahārāja.
La marquise me déclara qu’elle avait encore de nombreuses questions à me poser, avec un sourire engageant, elle me convia dans sa suite afin d’y répondre, je ne pus refuser.
Ainsi, c’est chez elle que ce matin, un serviteur vint m’aviser – comme j’en avais fait la requête à l’intendant du palais – que Bhediya était de retour.
Lorsque je le retrouvais, je l’informais de la disparition de ma briolette et des évènements qui s’étaient produits en son absence. Malheureusement Aubierge ayant embarquée pour Erestia, nous étions contraints de nous y rendre, pour espérer récupérer le bijou. Nous décidâmes de prendre la mer le jour même.
Nous remerciâmes le roi Liam et la reine Eileen pour leur hospitalité, saluâmes la Bandrui Maebd qui nous pria d’excuser Menskr pris par ses devoirs sur son navire, nous présentâmes nos respects au duc Mael, puis j’allais seul chez Teafa pour lui faire mes adieux.
Celle-ci qui devait regagner son fief, avec son oncle, m’invita à faire la traversée à bord de son vaisseau. Je ne pouvais décemment accepter l’offre de Teafa alors que son oncle et suzerain était à bord. J’arguais que je ne pouvais abandonner Bhediya, dès son retour de trois jours de chasse. À ce sujet, je me demande s’il est un piètre chasseur ou s’il fit ripaille dans une forêt particulièrement giboyeuse, en prévision du séjour en mer.
J’observe avec intérêt la manœuvre de la chaloupe qui se prépare à accoster notre caraque.
J’avais été fasciné par le marin de la caravelle, qui avec un drapeau dans chaque main exécutait une pantomime, levant, tendant, pliant, baissant les deux bras ensemble ou séparément. Un matelot, qui se trouvait à la droite de notre capitaine, ne quitta son homologue des yeux que lorsque celui-ci baissa les deux bras et réunit les fanions-signaux dans la même main. Alors, il s’exclama « Le duc Mael invite le prince Chandra et le seigneur Bhediya à dîner à son bord ! » Après en avoir délibéré, Bhediya estima que son invitation à dîner était de pure forme, que son transbordement impliquerait l’accostage des deux navires ; il déclina me demandant de l’excuser auprès du duc, et m’assura que tout se passerait bien pour lui pendant mon absence, quelle que soit sa durée. Ce fut au tour du matelot de notre vaisseau de manipuler ses drapeaux. Sur la caravelle, une chaloupe fut mise à la mer.
Maintenant, elle est contre la coque de la caraque, l’un des rameurs tend l’échelle de corde qui pend depuis la coupée, j’entame la descente.

***
Notes :
1) Comme tout un chacun, Chandra jure dans sa langue : kamabakht seedhiyaan कमबख्त सीढ़ियाँ ➢ putain de marches.
2) Trimūrti  त्रिमूर्ति ➢ La trinité hindoue est composée de ब्रह्मा ➢ Brahmā, विष्णु ➢ Viṣṇu et शिव ➢ Śiva.
3) Sambhava Parva सम्भव पर्व ➢ La partie de l’origine est la 5e d’Adi Parva आदि पर्व ➢ Le livre du commencement (Livre 1 du Mahābhārata) .
Le narrateur, Vaishampāyana, était le disciple de Maharishi ved vyāsa, auquel ce dernier – après que le rishi Astika ait persuadé Janamejaya d’arrêter le Sarpasatra – confia la mission de raconter à Janamejaya, tout le Mahābhārata (dont la version actuelle comporte 100 000 ślokoṃ श्लोकों [śloka श्लोक au singulier]).
Chandra résume ici la section CXV d’Adi Parva, les ślokoṃ 4485 à 4521 qu’il récita la veille. (Résumé d’après les traductions françaises de Jean-Claude Pivin [pour l’essentiel] et d’Hippolyte Fauche, ainsi que la traduction anglaise de Kisari Mohan Ganguli.)

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